Le cirque : une histoire équestre
Avec l’hiver recommence la saison du cirque sous les chapiteaux implantés au pourtour de la capitale.
Aujourd’hui, le cirque est souvent décrié. Le refus du public de cautionner l’exhibition de fauves conduit à une chute de la fréquentation des chapiteaux. C’est peut-être en revenant à ses origines, lorsque c’était le cheval qui était au coeur du spectacle, qu’il peut reconquérir le public et inventer de nouvelles formes.
C’est au xviiie siècle que le cirque apparaît. Avec l’essor des loisirs, les spectacles hors des grands théâtres se multiplient. Les troupes de saltimbanques rencontrent un succès croissant, tandis que des voltigeurs forains se distinguent par des prouesses équestres dont on trouve les premières traces à Prague, à la fin du xvie siècle.
Cet engouement pousse Philip Astley, un officier de cavalerie britannique, à présenter en 1768 ses compétences équestres dans un espace scénique de son invention. Chapeautés de toile pour mettre à l’abri des intempéries les spectateurs, des gradins sont disposés en amphithéâtre autour d’une piste, qui sert habituellement d’espace d’entraînement à la voltige pour les militaires et qui existait déjà pour des acrobaties équestres dans les grands cirques elliptiques des Romains. Le public assiste au spectacle en payant une entrée, ce qui garantit un meilleur revenu que les divertissements de rue où chacun donne selon son bon vouloir, mais cela impose d’offrir une meilleure prestation. A cette fin, Philip Astley théâtralise escrime à cheval, maniement du sabre, voltige.
Aux écuyers se mêlent des voltigeurs comiques, des clowns, des danseurs de corde, des acrobates et des jongleurs venus des foires, tels les Zavatta. Le cirque est né et apparaît donc déjà comme une synthèse entre une culture des élites – l’équitation savante – et une culture populaire – celle des saltimbanques.
Au moment où la France se passionne pour les courses de chevaux telles que pratiquées en Angleterre, la reine MarieAntoinette invite Philip Astley à faire montre de ses talents. En 1774, il se produit rue des Vieilles-tuileries, puis il établit son manège au faubourg du Temple. Le cirque devient alors un lieu de diffusion du modèle éducatif de l’aristocratie. Ainsi, à Paris, au xixe siècle, les cirques accueillent des spectacles équestres et enseignent l’équitation savante.
Batailles napoléoniennes
En 1792, Antonio Franconi reprend le cirque de Philip Astley. Désigné comme le meilleur écuyer d’europe, ce Vénitien se distingue dans l’équitation acrobatique et dans la « haute école », héritières des pratiques militaires. L’équitation acrobatique est un moyen de survie sur les champs de bataille. La haute école est composée de toutes les figures par lesquelles il est possible de défier ou d’esquiver l’adversaire, par exemple par les levades ou les croupades. Du reste, au début du xixe siècle, les pantomimes qui font la célébrité des Franconi mettent en scène les batailles napoléoniennes.
Des écuyers distingués se produisent régulièrement sur les pistes parisiennes et attirent le Paris aristocratique. Engagé par les Franconi, François Baucher évolue au cirque
Une synthèse entre culture des élites et culture populaire
des Champs-élysées, l’un des cirques en dur de la capitale, de 1838 à 1848. Il y démontre sa parfaite maîtrise de l’art d’éduquer les chevaux et fait de ce spectacle la vitrine de ses méthodes. Parallèlement, le cirque se répand dans toute l’europe avant de gagner l’amérique.
Si, dans l’actuel cirque d’hiver, les Franconi maintiennent, après 1870, une conception élitiste, Medrano, à Montmartre, accueille un public plus populaire, dans un édifice aujourd’hui disparu. D’ailleurs, le développement des loisirs, y compris à la campagne, a conduit le cirque à se démocratiser et à renouer avec l’itinérance des saltimbanques. Des acrobates se produisant sur les places publiques ont, pour certains, tels les Martinetti sous le Second Empire, fondé des cirques ambulants mêlant exercices équestres et prouesses acrobatiques. Au sein de ces entreprises familiales, de nouveaux écuyers s’affirment, à l’instar d’armand Grüss (1881-1934), fils de Maria Martinetti et de Charles Grüss. Armand Grüss s’est lui aussi marié dans une famille circassienne, c’est-à-dire de gens du cirque, les Ricono. Les généalogies des hommes et des femmes de la piste s’entrecroisent. Un monde de l’entresoi se constitue et, après 1918, les grands noms du cirque qui comptent aujourd’hui encore s’affirment : les Grüss, mais aussi les Bouglione, réputés comme dompteurs.
Itinérance, rôle croissant des clowns, fascination exercée par les dompteurs de fauves, les cirques au xxe siècle ont peu à peu délaissé la dimension équestre de leurs spectacles. Or, en 1974, Silvia Monfort a organisé une exposition pour célébrer l’arrivée de Philip Astley à Paris. Elle l’a illustrée en installant face au lieu de l’exposition, dans la cour de l’hôtel Salé, un cirque à l’ancienne dirigé par Alexis Grüss. Petitfils d’armand, fils de l’auguste Dédé, neveu du célèbre écuyer Alexis Grüss senior et cousin d’arlette (le chapiteau qui porte aujourd’hui encore le nom de celle-ci est différent du cirque à l’ancienne d’alexis Grüss), Alexis Grüss fait alors renaître sur la piste toutes les figures oubliées du cirque équestre des origines : numéros de voltige équestre, poste à dix-sept chevaux (où l’écuyer, debout sur deux chevaux au galop, constitue peu à peu un attelage de quinze chevaux qui se placent autour de la piste après être passés, au galop eux aussi, entre les deux chevaux de l’écuyer), jonglage à cheval, haute école et travail en liberté. Ainsi, il y a quarante ans, le cheval a regagné son droit de cité sur la piste. n
* Professeur d’histoire contemporaine à l’université d’avignon