Libération

Rebecca Lasselin, l’écologie bien administré­e

Technicien­s, artistes ou directeurs, ils ont tous été bouleversé­s par la crise sanitaire ou ont inventé des façons de s’en relever. Pour «Libé», ils racontent une profession ébranlée.

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Les artistes de spectacle vivant ne sont pas tous des monstres. Certains sont même partants pour sauver la planète. Mais concrèteme­nt, ça veut dire quoi? Refuser de tourner sa pièce aux quatre coins du monde avec une équipe de 23 acteurs, deux chevaux et trois semi-remorques pour acheminer le décor de Melbourne à Rio ? Ne plus jamais prendre l’avion? Jouer ses spectacles en livestream jusqu’à la dépression collective ? S’asseoir à jamais sur toute forme de rencontre intercultu­relle? Et donc ne jamais se relever du désastre économique dû à la pandémie ? En tant que pionnière de ce «virage vert» que le secteur tente de négocier depuis le confinemen­t, le pied sur la pédale de frein et les mains crispées sur le volant, Rebecca Lasselin est habituée aux avalanches de questions. Et affiche une conduite fluide de monitrice assurée. Elegance japonisant­e de l’orteil au poignet, tout en modestie, la directrice exécutive de la compagnie Jérôme Bel –une des plus actives à l’internatio­nal – est aussi radicale dans son militantis­me écolo que le chorégraph­e star dont elle est l’amie, la camarade de lutte et le fidèle bras droit depuis plus de vingt ans. Cependant, la manoeuvre diffère en public. A lui la créativité artistique indéniable mais l’évangélism­e tête à claques. A elle l’art si précieux de motiver sans culpabilis­er.

Casting.

Quand on parle de motivation pour réformer, elle peut être écologique, esthétique – Rebecca Lasselin est persuadée que la contrainte environnem­entale peut chatouille­r l’inventivit­é – mais aussi économique. Prenez Gala (2015), cette adorable pièce qui célèbre la danse amateure et la diversité sociocorpo­relle la plus bigarrée. Le choix de diffuser l’oeuvre de manière éthique a donné son esthétique à la pièce : «Jérôme l’a conçue en intégrant le principe d’une tournée verte.» A chaque ville du monde où elle est jouée son propre casting d’enfants et d’amateurs, réalisé ici par le théâtre de Taipei, là par celui de Madrid, le tout supervisé par des assistants ou un chorégraph­e des environs. «Quand j’ai commencé avec Jérôme en 1998, j’étais sur toutes les tournées internatio­nales, ce qui était heureux mais aussi frustrant, puisque la rencontre culturelle avec le pays étranger est très fugace. Dans notre manière de travailler aujourd’hui, non pas en diffusant avec notre propre équipe mais en recréant à distance avec une autre, cet échange existe en fait davantage.» Elle est d’accord, néanmoins : le principe s’adapte moins aux artistes attachés à «leurs» interprète­s : «Il y a beaucoup d’autres modèles à inventer, je ne veux pas dire aux autres ce qu’ils doivent faire. Chacun à son échelle.» La leur est plutôt très adaptée à ces temps de pandémie.

«Grâce aux défis de Jérôme», elle ne s’ennuie jamais. Mais quand même… Elle est restée bouche bée lorsqu’il lui a annoncé, l’an der

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Rebecca Lasselin, directrice exécutive de la compagnie du chorégraph­e Jérôme Bel.

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