«Nous aussi, on est deux à défendre le même projet»
Dans la 18e circonscription de la capitale, deux lignes radicalement opposées s’affrontent… à travers quatre candidats : alors que Myriam El Khomri (PS) et Pierre-Yves Bournazel (LR) soutiennent tous deux la majorité présidentielle, Caroline De Haas (EE-L
Vendredi, Libération a passé un moment avec les quatre principaux candidats de la 18e circonscription de Paris, dans le nord de la capitale. A chaque fois, des petites escales avec eux pour raconter la tectonique des plaques politiques, quand il ne s’agit pas de superposition, dans l’un des coins les plus médiatiques de ces élections législatives. Avec deux candidats qui roulent pour «la majorité présidentielle», et deux autres qui ciblent la même personne: Myriam El Khomri, l’ancienne ministre du Travail. A cause de la loi portant son nom, qui a fait des ravages à gauche. Dans un monde parallèle – et cohérent –, ils pourraient presque faire un double, comme au tennis. Dans celui-ci, c’est le bazar: l’élection d’Emmanuel Macron a tout pulvérisé.
Paul Vannier (FI)
Guide, «ras-le-bol» et «trahison»
Paul Vannier se voit déjà au Palais-Bourbon. Sur le marché, près de la porte de Clignancourt, le candidat de La France insoumise glisse le mot magique aux passants, «Jean-Luc Mélenchon». Le paradoxe est là : bien que les candidats FI insistent sur le projet commun et le côté accessoire des personnalités qui le portent, tout repose sur leur guide. Sur la circonscription, celui-ci a réalisé plus de 24 % lors du premier tour de la présidentielle. Loin derrière Macron (plus de 37 %), mais qu’importe: le PS s’est cassé la figure, quand Mélenchon a manqué le second tour. D’où sa conclusion : la gauche crédible a changé de proprio. Près de lui, un militant socialiste tracte pour El Khomri. Un vieil homme lui balance froidement, avec une voix sortie tout droit d’un western: «Tu te fous de ma gueule ?» Vannier se gondole. Quelques minutes plus tard, un type de FI a le droit, lui aussi, à une saillie –un peu particulière: un passant refuse son tract parce qu’il trouve Mélenchon insupportable : «J’en ai ras-le-bol de lui et de ses insultes, mais malheureusement, je n’ai pas le choix, je vais voter pour lui, car le PS n’est pas à gauche.»
Le temps passe. El Khomri multiplie les selfies sur le trottoir d’en face. Du rade où l’on s’est posé avec lui, Vannier charge Caroline De Haas, laquelle nage dans son couloir. Du genre elle n’est pas du coin et s’invite dans la bataille. La semaine passée, Mélenchon est venu dans la circonscription pour le défendre. Sur la place Jules-Joffrin, le tribun, face à une petite foule, a eu des mots durs à l’encontre de l’ex-ministre de Travail: «trahison», «mensonge», «nous ne lui pardonnerons jamais». On demande à Vannier si ce n’est pas un peu trop violent. Il répond que la violence venait du camp d’en face.
Myriam El Khomri (PS) «Tu te souviens ?»
On croise un bonhomme grand et costaud, tout de bleu vêtu. Il porte un badge «Emmanuel Macron» sur sa chemise. Entre ses mains, tout plein de tracts : le programme de Myriam El Khomri. Il aimerait lui parler de la prostitution dans sa rue (Championnet), et même en bas de sa fenêtre. Un militant PS qui le voit s’agiter s’étonne : «Il est Macron, lui, il n’est pas de chez nous!» Bazar, on vous dit. Car l’ex-ministre du Travail se revendique bien de la majorité présidentielle –le logo du PS apparaît quand même, en tout petit, comme s’il n’était plus qu’un collectif.
On l’a croisée à l’heure du déjeuner, avec des militants du coin, qui se sont tous rappelés d’une histoire dont elle fut l’héroïne: les chantiers à l’étranger pour des gamins défavorisés, les cours d’alphabétisation, la fronde à la mairie de Paris pour mettre des locaux à la disposition d’associatifs du secteur. Sa tournure préférée: «Tu te souviens ?» A celle-ci, elle accole un prénom, un patronyme ou un petit récit d’antan, comme celui de son pote, un gentil policier communiste désormais à la re-
traite. El Khomri connaît les quartiers populaires du XVIIIe arrondissement, qui héberge la quasi-totalité de la 18e circo, voilà son argument de campagne. «Je veux être la jambe gauche du gouvernement, je resterai socialiste.» Elle insiste : «Vous savez, ici, je ne suis pas que la loi travail.» Sauf que ses challengers utilisent son nom et sa loi pour alpaguer les quidams. Quand on lui demande à quel point cette campagne est compliquée, elle sourit sincèrement : le plus dur est passé. Il y a quelques mois, des manifestants s’étaient postés en bas de chez elle pour protester contre la loi quand d’autres avaient tenté d’envahir un plateau télé sur lequel elle était invitée. Douces réminiscences, encore : la dame qui se charge de sa com se souvient de la campagne législative de 2012 pour Christophe Caresche, le député sortant, dont El Khomri était la suppléante. A l’époque, c’était pour la forme, le PS était fort.
Pierre-Yves Bournazel (LR) Punchlines et yeux qui brillent
Si on devait raconter les aventures de cette circo en dessins, le premier consacré à PierreYves Bournazel s’intitulerait «Eh, mais c’est moi le petit d’Emmanuel Macron!» Le candidat issu du parti Les Républicains n’a pas, lui non plus, d’investiture officielle d’En marche, mais il s’en moque un peu. Sur la vitre de son local de campagne, il a gommé toute allusion à LR, et sur son tract, a écrit «Majorité présidentielle avec Emmanuel Macron et Edouard
Philippe». Sauf qu’El Khomri revendique à peu de choses près le même créneau. «Elle veut être la jambe gauche de la majorité? Moi, je marche sur mes deux jambes», dit-il. Bournazel est un homme de punchlines et de formules bien préparées. Il récite en choeur, avec un vieux monsieur qui l’alpague, une citation de Valéry Giscard d’Estaing en faisant le bruitage qui va avec (l’index dans la bouche pour faire «poc»). Bournazel se revendique d’une droite modérée et populaire (il fut le porte-parole d’Alain Juppé à la primaire de droite), du pragmatisme (il a voté des projets portés par la gauche à Paris) et d’un monde qui change. Il assure que si son parti lui cherche des noises, il continuera sa vie politique sans lui. «Les lignes sont en train de bouger.»
Et Macron fait briller ses yeux. Bournazel est un visage connu du côté du XVIIIe arrondissement depuis plus d’une dizaine d’années, qui a manqué de peu un poste de ministre des Sports, en raison d’une parité à respecter: «Ce qui est tout à fait normal», même si ça lui aurait plu, dit-il. D’autant qu’il bosse sur la candidature de Paris pour les JO de 2024. Comme quoi, il ne faut jamais être définitif : en février, dans une interview au Parisien, il jurait que «son ministère était Paris» et fustigeait El Khomri, qui aurait oublié le XVIIIe une fois au gouvernement. Il n’empêche, il est posé à la bonne place. Trois challengers qui se revendiquent de gauche et qui se tirent dans les pattes. Et lui au milieu.
Caroline De Haas (EE-LV - PCF - Ensemble) Pétition, moutarde et rancunes
Caroline De Haas, elle, reçoit dans son QG, entourée de sa jeune équipe. Elle nous emmène dans une petite pièce et tient à nous montrer le secret de ses pouvoirs. Sur son ordinateur, une carte de la circonscription avec des petits points de toutes les couleurs : les secteurs forts et faibles de la gauche lors de la présidentielle, qui déterminent les boîtes aux lettres et les quartiers sur lesquels il faut insister. Une campagne numérique, comme celle qu’elle avait lancée contre la loi El Khomri : sa pétition en ligne avait recueilli plus d’un million de signataires. La visite terminée, on se dirige vers le boulevard Barbès. Sur le chemin, on lui montre la nouvelle affiche de Bournazel, et son ralliement à Macron. De Haas se marre et lâche: «C’est dingue, deux candidats qui se disent de la majorité présidentielle.» Puis se reprend : «En même temps, nous aussi, on est deux à défendre le même projet.» Elle pense à FI et Vannier, qu’elle a rencontré après le premier tour de la présidentielle pour tenter une conciliation. En vain. Sur le boulevard, la candidate interpelle les passants avec des «Je suis votre candidate, dites non à la loi travail». La loi qui l’a poussée à se présenter dans cette circonscription, alors qu’elle n’est pas du coin.
Les directions du PCF, d’EE-LV et d’Ensemble sont derrière elle. Presque tout le monde à gauche, sauf FI car, dit-elle, «je crois que JeanLuc a un problème avec moi». Pourtant, De Haas a voté pour lui en avril. Du coup, c’est ambiance guerre froide entre Vannier et elle. L’ex-socialiste De Haas a prévenu les siens : «Dès que ça chauffe et que vous avez la moutarde qui monte au nez, vous faites demi-tour, il faut éviter les clashs.» Pour cause, elle n’insulte pas l’avenir. La peur d’arriver avec un tas de rancunes au soir du premier tour et de compliquer un potentiel rassemblement avec FI. Elle voit même plus loin: «Si l’on perd tous les deux la circonscription, il faudra bien s’opposer ensemble durant le quinquennat.»
«Je veux être la jambe gauche du gouvernement, je resterai socialiste. Vous savez, ici, je ne suis pas que la loi travail.» Myriam El Khomri ex-ministre du Travail