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Erik Orsenna *

L’académicie­n nous fait découvrir Les Animaux malades de la peste de Jean de La Fontaine.

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Dans cette fable, Jean de La Fontaine réussit en deux pages à décrire toute une société. C’est l’inverse de Balzac. Si ce dernier fait des milliers et des milliers de pages pour raconter la condition humaine, le fabuliste réussit, grâce à son génie, à le dire en quelques formules, et ça suffit ! Ici, on retrouve vraiment tout l’esprit de la fable, avec toutes les bêtes, les jeux de cour. La peste tombe sur les animaux. Le Lion les réunit alors pour leur demander conseil. Chacun tente de trouver qui, en raison de ses terribles péchés, a pu attirer pareil fléau. Le Lion, lui, avoue avoir mangé beaucoup de moutons et de bergers. Le Renard l’excuse aussitôt. Puis, tous les animaux confessent, un à un, avoir commis des choses difficilem­ent pardonnabl­es. Et voilà que l’Ane arrive et reconnaît avoir brouté un peu d’une herbe dans un champ qui ne lui appartenai­t pas. Tout le monde s’accorde alors pour le désigner comme coupable. Et La Fontaine conclut : “Selon que vous serez puissants ou misérables, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.” La formule est célèbre, l’origine beaucoup moins… Ce que j’aime tant chez cet auteur, et en particulie­r dans Les Animaux malades de la peste, c’est son résumé. Il y a un côté haïku. Il n’a pas besoin de s’étendre. A ce titre, il est étonnant de constater à quel point ce fabuliste est le frère de La Bruyère. Cette oeuvre est un tout petit peu plus abstraite, c’est sans doute pour cela qu’elle est méconnue. La Fontaine a écrit tout de même deux cent quarante fables, on en connaît vraiment une quinzaine tout au plus. Il y a de véritables trésors dans ses écrits, qui sont des joyaux d’amusement. C’est une ressource inépuisabl­e. La magie ne réside pas dans la tonitruanc­e : l’auteur n’est pas dans Wagner, il est plutôt dans Rameau ! Malgré son apparente simplicité, les fables et les contes sont de purs bijoux : d’âge en âge, on en découvre d’autres richesses. Le fond d’un chefd’oeuvre, c’est avant tout l’insondable. » Propos recueillis par Catherine Saliceti

* Dernier livre paru: La Fontaine: une école buissonniè­re (Stock)

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