Pays perdu
Journaux et correspondances ont servi à cette remarquable étude sur les Allemands en guerre.
Comment la Seconde Guerre mondiale futelle vécue par ceux qui l’avaient déclenchée, conduite avec une férocité inouïe, poursuivie, enfin, jusqu’aux dernières heures, avec une détermination insensée? Nicolas Stargardt n’est, certes, pas le premier à s’interroger sur les opinions, les sentiments – sur les ressorts, aussi – de ses compatriotes embarqués, à des degrés divers de consentement, dans cette entreprise funeste. Ian Kershaw a, notamment, consacré un livre (La Fin : Allemagne 1944-1945) à l’un des aspects les plus troublants de la question : comment expliquer la capacité de résistance des Allemands dans les derniers mois de la guerre, alors qu’ils ne pouvaient ignorer l’inéluctabilité de leur défaite ?
Qu’apporte, alors, à ce sujet déjà amplement labouré, cette nouvelle étude intitulée La Guerre allemande? Beaucoup. D’abord, parce qu’elle serre au plus près son sujet. Son « portrait d’un peuple en guerre » n’est que très marginalement une histoire des opérations militaires qui font la matière de la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, parce qu’à côté des sources classiques propres à l’étude de l’opinion – rapports de police, presse, journal de Goebbels –, Nicholas Stargardt a constitué un échantillon de seize personnes dont il explore minutieusement la correspondance ou les journaux intimes tenus tout au long des cinq années de guerre. Dans ce corpus, on compte une source connue: le journal de Victor Klemperer. Les quinze autres témoignages sont le fait de gens ordinaires, issus de différents milieux sociaux, relevant d’appartenances culturelles et religieuses diverses, mais qui restituent soigneusement ce que l’on pourrait appeler les structures élémentaires de l’idéologie nationale allemande.
Des enseignements tirés de ce panel, il ressort deux conclusions accablantes: la première est la sidérante et dominante adhésion à la thèse selon laquelle les juifs sont les responsables de la guerre; la seconde est la force du sentiment national. Il inhibe les oppositions les plus décidées au nazisme. « Un livre remarquable », selon Ian Kershaw. On souscrit. Marc Riglet