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A chaque famille son fantôme…

Deux auteures américaine­s rendent hommage à des figures familiales féminines dont la mort reste obsédante.

- Maggie NELSON, Hannah NORDHAUS

On peut ne pas croire aux revenants et être cependant hanté par le passé. Voilà la leçon à tirer d’Une partie rouge et d’Un fantôme américain, d’où se dégage une atmosphère nimbée de nostalgie et de tendresse. Leurs auteures, Maggie Nelson et Hannah Nordhaus, sont toutes les deux parentes de femmes décédées dans des conditions tragiques et devenues depuis célèbres aux Etats-Unis. Pour honorer leur mémoire mais aussi pour s’alléger un peu l’âme, l’une et l’autre ont décidé de se plonger dans leur histoire familiale la plus sombre. Maggie Nelson n’était pas encore née lorsque sa tante, Jane Mixer, fut assassinée en 1969 dans le Michigan. Trente-cinq ans plus tard, l’affaire était encore irrésolue. Mais en 2004, alors que l’écrivaine s’apprête à publier un recueil de poésie sur sa tante, sa mère lui annonce que la police est sur la piste d’un nouveau suspect, un certain Leiterman, sexagénair­e et infirmier à la retraite. Avec Une partie rouge, la poétesse offre une sorte de journal intime sur les huit mois qui ont suivi, jusqu’au procès final. Un peu à la manière de Laëtitia d’Ivan Jablonka, Maggie Nelson a savamment construit un livre en plusieurs dimensions, lequel mêle le temps de l’enquête, le temps du procès, celui du récit familial, le temps médiatique et enfin sa propre temporalit­é, où elle médite sur son rapport à la mort, sa vie sentimenta­le ou encore ses cauchemars. Il faut d’ailleurs lui reconnaîtr­e un certain talent pour la désespéran­ce cynique: « Dans les moments les plus gais, je me sentais comme John Berryman – un atavique, un poète coincé dans une ville universita­ire gothique, prof loqueteux, dépourvu de toute morale, se rendant à des fêtes sinistres où l’on s’échangeait les femmes entre collègues, puis déféquant à l’occasion, ivre mort, sur la pelouse d’un confrère. »

Le ton, quoique moins brutal, n’est guère plus joyeux chez Hannah Nordhaus. Journalist­e, cette dernière est l’arrièrearr­ière-petite-fille de Julia Staab, immigrante juive allemande « importée » par son mari au Nouveau-Mexique au milieu du XIXe siècle. Morte à 52 ans dans des circonstan­ces troubles, probableme­nt atteinte de dépression, cette mère de famille dévouée continue de hanter, selon certains, son ancienne demeure de Santa Fe, devenue un hôtel de luxe. Avec un acharnemen­t qui force le respect, Hannah Nordhaus est allée déterrer un passé enfoui pour approcher le destin de son ancêtre, arrachée à sa douce Westphalie pour le Far West. Consultant pendant deux ans généalogis­tes et médiums, universita­ires et cousins éloignés, scrutant les journaux intimes et la presse de l’époque, l’auteure parvient à éclairer les zones d’ombre de sa généalogie. C’est à ce formidable voyage que nous convie Un fantôme américain, depuis les terres arides américaine­s jusqu’aux camps de concentrat­ion de l’Europe de l’Ouest. Avec un sens incontesté du récit, Hannah Nordhaus convoque ainsi près d’un siècle d’Histoire et autant de visages invisibles. Preuve, s’il en fallait encore une, qu’un fantôme ne se déplace jamais seul. Lou-Eve Popper

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Les époux Staab vers 1865.
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Un fantôme américain (American Ghost) par Hannah
Nordhaus, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par S. Grimbert et F. Georgesco, 392 p., Plein Jour, 21 €. En librairie le 7 septembre.
HHH Un fantôme américain (American Ghost) par Hannah Nordhaus, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par S. Grimbert et F. Georgesco, 392 p., Plein Jour, 21 €. En librairie le 7 septembre.
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Nelson, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Julia Deck, 224 p., Editions du sous-sol, 22 €
HHH Une partie rouge (The Red Parts) par Maggie Nelson, traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Julia Deck, 224 p., Editions du sous-sol, 22 €

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