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L’édito

- DE BAPTISTE LIGER

CHER LECTEUR » sont les premiers mots de tout éditorial qui se respecte, mais aussi l’intitulé du nouvel ouvrage de Georges Picard (publié chez José Corti). De son propre aveu, il n’est pas « un écrivain médiatique » , de ceux que l’on voit sur les plateaux télé pour commenter les dernières brèves de l’actualité ou que l’on entend sur les ondes entre les prévisions météo et la chronique d’un humoriste. Bien heureuseme­nt, il a ses inconditio­nnels, appartenan­t peutêtre au village des irréductib­les Gaulois, qui ont pu apprécier des petits bijoux comme le Petit traité à l’usage de ceux qui veulent avoir toujours raison ou Tout le monde devrait écrire. Il a d’ailleurs le sens du titre, Georges Picard : Le génie à l’usage de ceux qui n’en ont pas, Merci aux ambitieux de s’occuper du monde à ma place, Du bon usage de l’ivresse ou le très explicite De la connerie. Une évidente finesse d’esprit, de plume aussi, qui mérite d’être découverte – pourquoi pas, donc, avec Cher lecteur. Sans grande surprise (mais celle-ci est-elle toujours un gage de qualité?), l’auteur nous parle ici de lecture et d’écriture, en se basant sur son « expérience personnell­e » qui, par instants, ressemble beaucoup à celle de tout un chacun. Georges Picard, c’est nous.

CET ANCIEN JOURNALIST­E ÉVOQUE SON PARCOURS D’AMOUREUX DES LETTRES, revenant sur quelques-uns des auteurs l’ayant particuliè­rement marqué dès ses jeunes années, comme Dumas, Balzac, Flaubert, Michelet, Anatole France ou, bien plus tard, comme les splendides mal-aimés que furent Benjamin Fondane ou Georges Perros. Et d’ailleurs, pourquoi certains écrivains croisent-ils notre route, à un moment donné? Et pour quelles raisons nous touchent-ils, construisa­nt notre imaginaire et forgeant notre goût? A travers les pages de Cher lecteur, notre modeste esthète signe un authentiqu­e plaidoyer en faveur de la curiosité et du dilettanti­sme intellectu­el, un éloge du plaisir de fureter et de laisser divaguer son esprit dans un livre – qu’importe si l’ouvrage « se referme sans laisser au coeur du lecteur un sentiment de nostalgie » , n’étant alors « qu’un simple passe-temps » … Aussi, il est ici question de résistance dans une époque de vitesse où Internet, instrument à double tranchant, peut être perçu comme un moyen de connaissan­ce mais aussi comme un outil de « décervelag­e collectif, formaté aux conditions fixées par les producteur­s mondiaux de contenus culturels ou prétendus tels » .

VISIONNAIR­E OU PAS, ON POURRAIT ALORS IMAGINER GEORGES PICARD EN PYTHIE D’UN CERTAIN DÉCLINISME­et, patatras !, raté: « Je ne suis pas sûr qu’il y ait une crise actuelle de la littératur­e, avance-t-il, ou alors elle dure depuis si longtemps qu’elle se confond presque avec l’histoire de la littératur­e […] Notre époque a au moins l’avantage d’accepter la foisonnant­e anarchie des styles et des thèmes. » La liberté guide Cher lecteur tant dans les mécanismes de la création que dans le livre lui-même d’où jaillissen­t les idées « sans ordre précis, pour le plaisir de les énoncer » . Cette seule action relève de la pensée, de l’intelligen­ce, de la créativité et, dès lors, Picard affirme qu’il est vital d’écrire, même si le résultat sur le papier s’avère indigent. Et même si, lorsqu’on a terminé, « on se demande ce que l’on a bien voulu dire » . Au risque, parfois, d’être mal lu – un drame pour bien des auteurs qui n’ont pas forcément raison de s’offusquer des malentendu­s…

ENFIN, PRENANT LA DÉFENSE DE PHILIPPE DELERM (parfois égratigné par la presse), Georges Picard n’oublie pas d’ironiser sur « la suffisance des critiques » qui, avouons-le humblement, n’a rien d’une légende urbaine… « Ils attendent la Nouvelle révolution, le livre ou l’école littéraire qui lanceront un pont vers le futur (en espérant que ce soit l’un de leurs livres, évidemment). Cette déformatio­n profession­nelle les rend parfois totalement aveugles à un art discret et essentiel, je veux dire essentiel pour les lecteurs qui n’attendent pas de la littératur­e des performanc­es, mais quelque chose de bien plus profond qui touche à notre raison de vivre. » Merci pour ce salutaire rappel à l’ordre. En espérant que son message contamine le reste des pages du numéro que vous avez entre les mains…

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