Lignes de fuite
Il y a d’abord cette pulsation, ce battement sourd, cette puissante scansion qui fait vibrer tout l’édifice comme la peau tendue d’un gigantesque tambour. Et puis il y a une voix, brisée et rugissante, percée d’halètements, de hoquets, et de cris. S’il ne fallait retenir qu’une image, ce serait celle du transpercement. L’entaille est ici partout, accomplie ou menaçante, dans l’affaissement et les « corps rapiécés » , dans l’écorchement de la langue, dans la grenouille qui « cauchemarde & ne sait plus sauter » . Chaque poème semble un souffle avançant peu à peu sur les marches irrégulières et coupantes d’un grand silence. La page, diffractée à mesure qu’elle descend et s’écoule, bourgeonne en de multiples colonnes d’échos.
Auxeméry cherche des liaisons dans un monde de miroirs vides. Dans ce très beau livre où circulent les fantômes d’Arthur Rimbaud et d’Antonin Artaud, le poète compose des constellations sur le seuil du néant. Dans « Epigrammes », il fustige une certaine littérature de faiseurs de phrases, « qui nous alimentent de leurs grasses vanités/que leur énorme et vaine suffisance entretient » . Et, dans « Potlatch », il grogne contre l’ère de « la convivialité à dates fixes » où la poésie « se pratique dorénavant en maisons idoines, avec subventions et bénédictions de notables incultes » . On sent chez lui une lasse détestation du monde contemporain qu’il voit proliférer dans une « redistribution raisonnable du déchet/comme du rêve de communion sociale » . Mais de l’anxiété surgit une vigoureuse, hypnotisante, cruelle lumière. Car être poète, écrit-il, c’est assumer « de vouloir malgré, de se signifier contre » : « la poésie est l’efficacité du souffle disciplinée par la forme qu’il investit et qui lui fournit couleur et sens. »
Né en 1947, Auxeméry a vécu en Afrique et vit désormais au bord de l’Atlantique. Professeur de lettres classiques, il est aussi traducteur de poésie américaine. Attentive et percée de brisures, son oeuvre court le long d’étonnantes lignes de fuite.