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M, le mot dit

Grégoire BOUILLIER Après une dizaine d’années de silence, l’auteur revient avec un pavé autobiogra­phique fascinant. Entre histoires d’amour compliquée­s et étrangetés du quotidien.

- Alexandre Fillon

Grégoire Bouillier, on le suit depuis Rapport sur moi. Une autofictio­n corrosive qui coûtait la modique somme de 6,10 euros, une vraie affaire. Deux ans après avoir reçu le prix de Flore en 2002, Grégoire Bouillier récidivait avec L’Invité mystère. Court récit ciselé s’ouvrant sur une réappariti­on, le jour de la mort de Michel Leiris. Et puis plus rien… ou presque (en 2008 paraît le mince et vénéneux Cap Canaveral). Dès lors, on ne s’attendait pas à prendre de plein fouet un Dossier M de près de huit cent quatre-vingts pages. Ni à découvrir que la chose comporte une suite d’un même tonnage, annoncée pour janvier prochain ! Ou encore qu’un site internet ( www. ledossierm. fr) permet de consulter des photos ou des vidéos liées au volume !

SORTIR DE L’ORDINAIRE

L’auteur explique avoir composé ce nouvel ouvrage « après le travail, après avoir dîné avec [sa] fille. Tous les soirs sans exception, pendant environ cinq ans, entre 22 heures et environ 3 heures du matin. Mais j’y pensais tout le temps. Je continuais d’écrire dans le métro, à la cantine, etc. Je notais tout dans des petits carnets. Je précise que j’étais célibatair­e. Je n’avais quasiment aucune vie sociale. C’était un peu “borderline”… Et un pur bonheur! » Car selon lui, faire quelque chose que l’on juge soi-même important est une bénédictio­n. Même si on est le seul à le penser dans son coin, on fait ce qu’on doit faire et c’est parfait. C’est une façon de réenchante­r son existence. De sortir de l’ordinaire. Ce pourquoi le livre sort aussi de l’ordinaire. Un soir de novembre 2005, voici Grégoire Bouillier dans un « drôle d’état, un état on ne peut plus bizarre » . Chaque matin, il quitte pourtant une rue du XVe arrondisse­ment où ont séjourné Paul Gauguin et Léon Bloy pour s’entasser ligne 12. Le suicide de son ami Julien, qui s’est pendu avec la ceinture de son pantalon à la poignée d’une fenêtre, le bouleverse. Au point qu’il tente de reconstitu­er les faits.

Bouillier ouvre les valves, opère des allers-retours entre le présent et le passé. Se rappelle et digresse. Parle de l’actrice Ali McGraw, d’astrologie, de rugby, de la série télévisée Dallas. Revient sur l’enfant, fan de Zorro et des super-héros de Stan Lee, qui, a dix ans, a tué involontai­rement une mésange.

L’auteur, pauvre bougre, peine à quitter S, dont il n’a jamais voulu être le « débiteur ». Une grande artiste, cotée à l’internatio­nale, avec qui c’était plus formidable socialemen­t que sexuelleme­nt. Surtout, il y a la fameuse M dont l’entrée en scène se fait tarder. La nou- velle stagiaire du service marketing. Une jeune femme de 28 ans qui fume des Morland Special et a déjà un fiancé. M n’est pas seulement son genre, elle est aussi son style…

LA TÊTE DANS LE SAC

Quand on l’interroge sur ce projet fou, l’auteur répond qu’il a plongé la tête dans son sac et « en a ramené à la surface tout ce qu’il contenait, le pire comme le meilleur, le beau et le laid, etc. Un peu comme Harpo Marx sortait des trucs insensés de la poche de son imperméabl­e. Personne n’imagine ce que contient son sac tant qu’il n’a pas plongé dedans. C’est assez vertigineu­x. Et drôle, si on y réfléchit. Pas seulement drôle, mais bon… »

Notre narrateur s’avère tout aussi brillant quand il relate comment il a volé – à l’âge de 16 ans, au drugstore Publicis – un exemplaire d’Histoire de la sexualité de Michel Foucault que lorsqu’il déplore l’absence d’une théorie définitive sur la coiffure. Ce fin lettré convoque aussi pêle-mêle le Martin Eden de Jack London et la Lolita de Vladimir Nabokov, Charles Bukowski et Donald Westlake. La fiction, très peu pour lui qui n’a rien d’un romancier. « Je ne fabrique pas du vrai à partir du faux, je ne sais pas faire ce genre de truc, aucun talent, j’avoue », lâche-t-il.

La lecture du Dossier M est dès lors hautement addictive et plaisante. On rit, on s’émeut. On ne quitte pas d’une semelle cet antihéros omniprésen­t qu’on trépigne déjà de retrouver. D’après son auteur, le Livre 2 « se situe exactement dans la continuité du Livre 1. Mais en pire ! Lorsqu’on pense avoir tout perdu, on fait forcément des trucs bizarres, on se lance dans des aventures un peu sauvages, dont on ne peut que rire ensuite. En même temps, toute l’histoire de M se trouve élucidée à la fin. Car il y a un secret. Comme dans un polar. Mais chut ! » Chut !, pourtant, ce n’est pas vraiment le genre de Grégoire Bouillier…

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