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Paroles, paroles…

Derrière un essai sur les sources du langage, le pape du « nouveau journalism­e » Tom Wolfe livre un portrait au vitriol de deux « vaches sacrées » : Charles Darwin et Noam Chomsky.

- Tom WOLFE

Pour détourner une célèbre formule, on pourrait dire qu’au commenceme­nt était le Verbe. Mais aussi les noms, les adjectifs, les adverbes et la façon de les agencer. Toutefois, il y a eu un avant, forcément. Le début du début, en quelque sorte. Et quelle n’a pas été la surprise, pour Tom Wolfe, d’apprendre dans un article que bien des spécialist­es en tous genres « s’avouaient incapables de résoudre l’énigme des origines du langage humain ainsi que son fonctionne­ment ». On aurait pu dès lors imaginer Le Règne du langage comme une grande enquête scientifiq­ue – avec les méthodes et les formes du « nouveau journalism­e » –, tentant de résoudre ce mystère. Mais c’était sans compter sur la malice de ce grand dandy vachard qui, s’il cherche tout de même quelques éléments de réponse, se sert surtout de ce point de départ pour montrer la grandeur et la petitesse des chercheurs, l’obstinatio­n dans la quête du savoir et les petites mesquineri­es des individus, les querelles d’ego, la relativité de certaines vérités.

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Tom Wolfe revient ainsi sur les travaux d’un certain Alfred Russel Wallace (1823-1913), « un grand échalas britanniqu­e à longue barbe qui s’improvise naturalist­e à l’âge de 35 ans » . Celui-ci va ainsi développer la première théorie de l’évolution des espèces par la sélection naturelle, qu’il soumettra à Charles Darwin en 1858. Erreur. Selon Wolfe, le célèbre auteur de L’Origine des espèces « s’inspirera » beaucoup, pour rester poli, des écrits de Wallace, quitte à manifester à l’occasion « divers symptômes de culpabilit­é envers [lui] pour l’avoir ainsi dépouillé de ses sous-vêtements » … Un maigre tribut, quand on souhaite prouver – n’en déplaise aux bigots – qu’on est un génie « capable de prouver au monde que l’homme n’est lui même qu’un animal parmi les autres » , avec son langage…

LA LOI DU PLUS VRAI

Darwin n’est pas la seule « vache sacrée » à éprouver l’ironie du polémiste américain en complet blanc. Il brosse également le portrait d’un jeune intellectu­el pressé qui va devenir LA sommité absolue dans le domaine de la linguistiq­ue – et un gourou politique… : Noam Chomsky. Cependant, en 2005, un article signé d’un quasi inconnu, Daniel L. Everett, sur le langage de la tribu amazonienn­e des Pirahas, suffira à remettre en cause toutes les fondations de la théorie chomskienn­e basée sur une hypothétiq­ue « grammaire universell­e». Précis, riche en anecdotes et passionnan­t dans l’abord du sujet, cet essai s’ancre complèteme­nt dans l’oeuvre du trublion Tom Wolfe, chroniqueu­r de la flamboyanc­e illusoire. Car Le Règne du langage, c’est aussi le pouvoir de celui qui parle fort – mais parfois faux…

Baptiste Liger

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Charles Darwin, en 1881.
 ??  ?? HHHH Le Règne du langage (The Kingdom of Speech) par Tom Wolfe, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Cohen, 216 p., Robert Laffont, 19 €. En librairie le 19 octobre.
HHHH Le Règne du langage (The Kingdom of Speech) par Tom Wolfe, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Cohen, 216 p., Robert Laffont, 19 €. En librairie le 19 octobre.

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