Des écrivains au poil
Michel Bulteau nous fait découvrir un singulier cercle littéraire moustachu !
Les « longues moustaches » ? C’est Paul Morand qui inventa l’expression dans un chapitre de Venises où il rend hommage à Henri de Régnier et à quelques autres écrivains de la même trempe (Jean-Louis Vaudoyer, Edmond Jaloux, Émile Henriot, Eugène Marsan, Francis de Miomandre, Charles Du Bos et Abel Bonnard),
« princes de Ligne désabusés » qui se croisaient régulièrement dans la Sérénissime avant la Première Guerre mondiale. Ils se retrouvaient sous le portrait du Chinois au Florian, où ils buvaient du punch à l’alkermès et du marasquin de Zara tout en discutant de leurs derniers bibelots achetés – écritoires de laque, miroirs gravés et autres cannes de jaspe.
Parler de dandysme serait un gros mot pour qualifier de tels esthètes. Michel Bulteau nous rappelle que, dans la case « signe particulier » de son passeport, Régnier avait fait inscrire : « porte monocle ». Il est la figure centrale de ce Club des longues moustaches, société imaginaire qui sert à Bulteau de prétexte pour digresser en dilettante autour des livres et des personnalités de ces auteurs méconnus qui lui tiennent à coeur. Outre leurs similitudes de look, ils avaient des détestations communes et des goûts en partage (Stendhal surtout, mais aussi l’Italie, la Provence, les cigares). La santé n’était pas leur fort ; les congestions pulmonaires, jamais loin. Rire de leur préciosité, ce serait rater leur érudition, leur style, et même leur humour fantasque – leurs amis Fernand Ochsé et les frères Julien avaient installé, dans la salle à manger Second Empire de leur maison de Neuilly, le cercueil de leur mère. Avec ce récit sensible et poétique, c’est un beau mausolée que Bulteau a taillé pour Régnier et ses compères.