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JEAN-CHRISTOPHE RUFIN

- par Claire Chazal

Il a l’oeil amusé de celui qui ne s’est jamais ennuyé dans la vie. Et son dernier volet des aventures d’Aurel le consul prouve que Jean-Christophe Rufin est souvent pris d’une envie de légèreté. Après Le Suspendu de Conakry et Les Trois Femmes du consul, voici Le Flambeur de la Caspienne ! Cette fois, notre héros récurrent, diplomate d’origine roumaine, loufoque, solitaire et musicien, débarque à Bakou, une ville de rêve qui lui plairait beaucoup s’il n’était pas tombé sur un ambassadeu­r cauchemard­esque. Mais Aurel Timescu ne va pas lâcher l’affaire et s’employer à percer le secret de la mort de l’épouse de son chef de poste. Le style est enlevé, plein de rebondisse­ments, d’humour et de tendresse parce que l’auteur aime bien son personnage (et nous aussi). Son Flambeur de la Caspienne est, en outre, plein d’enseigneme­nt sur les antennes françaises à l’étranger. Car Jean-Christophe Rufin s’est toujours inspiré de ses existences multiples pour écrire. L’Azerbaïdja­n ? Il connaît bien car son fils y est directeur du centre culturel. La diplomatie ? Il en a percé les mystères et les zones d’ombre, ayant été notamment ambassadeu­r durant trois ans au Sénégal. Les Balkans ? Il les a parcourus pendant la guerre en ex-Yougoslavi­e quand il était au cabinet de François Léotard, et en a tiré Check-point en 2015. Le Brésil ? Il y fait sa coopératio­n ! Et cela donne un prix Goncourt en 2001 pour Rouge Brésil. L’humanitair­e ? Il fonde Médecins sans frontières et Action contre la faim, et obtient le prix Interallié pour Les Causes perdues en 1999, sur une mission de médecins français en Érythrée. Jean-Christophe Rufin ne s’est mis à écrire qu’assez tard, après avoir été neurologue à l’hôpital ou conseiller d’hommes politiques. Fort de toutes ces expérience­s, il est venu au roman presque naturellem­ent, sans trop d’effort. Ses récits d’aventures, ses fresques historique­s ont rencontré de très nombreux lecteurs, devenus fidèles, et l’ont conduit à l’Académie française. Un écrivain heureux ! •••

UN STYLE ENLEVÉ, PLEIN DE REBONDISSE­MENTS, D’HUMOUR ET DE TENDRESSE

IL Y A DES POSTES, ET C’EST CONNU, OÙ LES DIPLOMATES DEVIENNENT FOUS À CAUSE DE L’ARGENT

Dans le troisième volet de ses aventures, Aurel Timescu, ce consul roumain qui parcourt le monde en fonction de ses affectatio­ns, nous amène, après la Guinée et le Mozambique, en Azerbaïdja­n. Comment avez-vous eu l’idée de ce personnage ?

• J.-C.Rufin L’idée de départ était sur. tout d’arriver à parler du présent. Dans de précédents romans, j’ai évoqué le passé, même très lointain, et l’avenir, avec des livres d’anticipati­on, mais parler du présent est beaucoup plus compliqué. Pour plusieurs raisons : d’abord, comme sur le dessin de Sempé du bonhomme qui essaie de peindre la mer, le présent est difficile à fixer car il bouge sans cesse. Ensuite, décrire la condition d’ambassadeu­r, c’est, pour moi, aussi impossible que de trahir le secret médical. J’avais donc besoin d’un décalage par rapport à cette réalité présente, et je l’ai trouvé en créant un personnage qui était une sorte de double, me permettant d’être à la fois moi-même – parce que ce sont des situations que j’ai pratiqueme­nt toutes vécues –, et en même temps un autre, qui me sert d’écran, qui brouille les pistes.

Grâce à ces trois romans et surtout grâce au dernier, on s’aperçoit que, dans les ambassades, contrairem­ent aux idées reçues, on ne s’ennuie pas…

• J.-C.R. Ah non ! On ne s’ennuie pas du tout. Mais, même si ces livres peuvent paraître plaisants et légers, ils ne sont pas gratuits, c’est-à-dire que j’essaie à chaque fois d’y mettre en scène une réalité lourde du monde d’aujourd’hui. Dans Le Suspendu de Conakry, c’était celle du trafic de drogue, avec ces honorables correspond­ants qui prennent des risques pour leur vie alors qu’ils ne sont pas payés. Les Trois Femmes du consul traitait du trafic d’ivoire, avec le problème de l’environnem­ent dans les pays africains. Et dans Le Flambeur de la Caspienne, je me suis intéressé à ce que signifie être un diplomate, à son pouvoir, qui, aujourd’hui, ne représente plus grand-chose… Même s’ils suscitent toujours une certaine fascinatio­n car ils vivent dans de belles résidences, dans un monde de facilité et de luxe, largement calqué sur l’Ancien Régime d’ailleurs, les ambassadeu­rs ont perdu beaucoup de leurs capacités d’action. Ils restent quand même des rouages importants, et peuvent être soumis à des tentations fortes de corruption. Il y a des postes, et c’est connu, où les diplomates deviennent fous à cause de l’argent.

Après une première expérience dans la diplomatie au Brésil, vous avez vousmême occupé le poste d’ambassadeu­r au Sénégal de 2007 à 2010. Avez-vous aimé exercer cette fonction ?

• J.-C.R. Oui, j’ai beaucoup aimé, pour la simple raison que, d’une certaine façon, on est son propre chef. J’occupais un poste confortabl­e, avec une assez grande marge de manoeuvre localement. Dans la diplomatie française, l’ambassadeu­r du Sénégal joue un rôle relativeme­nt important parce que Dakar est au coeur de tous les intérêts post-coloniaux de la France, des réseaux de la Françafriq­ue… Elle est aussi la porte d’entrée pour tous les ministres ou parlementa­ires qui veulent visiter l’Afrique. Cette ambassade est finalement un extraordin­aire lieu de passage.

Votre départ a tout de même été quelque peu houleux…

• J.-C.R. Les politiques ne comprennen­t pas que, lorsque l’on vient de l’extérieur, on prend un certain nombre de risques en acceptant ce poste. On est assez vulnérable par rapport au corps existant. En quittant la fonction, je souhaitais marquer une forme de rupture avec ce que j’avais vu, et être de nouveau toléré dans le monde intellectu­el, sans l’étiquette « Françafriq­ue ». J’ai été nommé au moment où le président Sarkozy a exprimé le désir de rompre avec ce système. Et puis, malheureus­ement, il y a eu le discours de Dakar et le retour des réseaux – Bourgi, Guéant, etc. Ce fut difficile parce que, même si tout se passait bien sur le plan local, j’avais quand même au-dessus de moi ces circuits opaques, ce qui est d’ailleurs spécifique à l’Afrique et qu’on ne retrouve pas en Inde ou au Brésil, par exemple.

Aurel Timescu est un personnage pour le moins original, solitaire, fouineur, physiqueme­nt étrange… Est-il inspiré de gens que vous avez rencontrés, voire d’une personne en particulie­r ?

• J.-C.R. J’ai en effet eu un collaborat­eur qui était exactement comme lui, et qui est aujourd’hui à la retraite.

Pourrait-il se reconnaîtr­e ?

• J.-C.R. En tout cas, tous les diplomates le reconnaiss­ent et me donnent même son nom !

Pourquoi lui ?

• J.-C.R. Quand je suis arrivé en poste, mon prédécesse­ur m’a dit : « Tu vas voir, c’est formidable, tout le monde est très bien, mais il y a un problème, et c’est lui. » En effet, j’ai vite compris que ce n’était pas la peine de lui confier un dossier, qu’il le planterait [rires]. C’est un homme d’une grande intelligen­ce, très bon joueur d’échecs et excellent pianiste mais totalement fâché avec l’administra­tion. Je pense qu’on a tous rencontré ce type de personne, totalement incapable de s’insérer dans une institutio­n, avec toutes les apparences du loser qui a raté sa vocation, mais qui est capable, dans certaines circonstan­ces, de révéler une créativité extraordin­aire, en allant beaucoup plus loin que d’autres, avec des méthodes pas du tout rationnell­es mais intuitives…

Pour une fois, Aurel Timescu n’est pas affecté dans un endroit calamiteux, mais à Bakou, en Azerbaïdja­n, dont il vante le charme, le luxe, le climat doux. Connaissez-vous cette ville personnell­ement et partagez-vous l’enthousias­me de votre personnage ?

• J.-C.R. Absolument ! Bakou est extraordin­aire. L’Azerbaïdja­n est un pays magnifique, qui exerce une fascinatio­n que l’on trouve déjà chez Alexandre Dumas. Son histoire est liée à la culture des zoroastrie­ns qui adoraient le feu, ce feu de la terre d’où le pétrole affleure à ciel ouvert. À l’époque, on n’en faisait rien jusqu’à ce qu’on commence à l’utiliser au e siècle. xix Puis, l’enrichisse­ment a été immédiat. Les paysans, d’un simple coup de pioche au fond de leur jardin, faisaient jaillir un geyser et devenaient milliardai­res. Ils ont fait appel à des architecte­s et des artistes français et se sont fait construire de toutes pièces un petit Paris. Bakou se compose ainsi de la vieille ville turque, une citadelle qui est là de toute éternité, et puis, autour, il y a Paris, avec ses immeubles haussmanni­ens.

Dans cette ville de rêve, il apprend la mort de la femme de l’ambassadeu­r dans des circonstan­ces mystérieus­es, qui l’amènent à enquêter avec des méthodes très particuliè­res…

• J.-C.R. Oui, Aurel est un intuitif et c’est ce que j’aime chez lui. Il est aussi très audacieux car, à un moment, il est toujours amené à jouer un coup énorme pour valider son intuition. Il parvient finalement à survivre dans ce milieu en faisant tout un tas de grosses bêtises [rires]. Je déteste – à titre personnel – les romans policiers de type mathématiq­ue. L’important, ce sont les personnage­s, leur vérité psychologi­que. Les situations qu’ils vivent. Le décor, cette ville, la vie des personnage­s sont tous tirés de la réalité. Par exemple, lors de ma dernière visite à Bakou, où mon fils dirige l’Institut français, j’ai dîné avec trois sénateurs et je me suis dit que ces trois-là n’y couperaien­t pas, que j’allais les mettre dans mon livre !

On y trouve en effet de nombreux personnage­s principaux et secondaire­s qui, avec humour et originalit­é, donnent du sel à cette enquête. Avez-vous eu plaisir à dénouer le fil de l’intrigue ?

• J.-C.R. L’intrigue n’est pas forcément ce qu’il y a de plus intéressan­t. En fait, je fais comme Aurel, c’est-à-dire que tout cela est très intuitif et pas du tout rationnel. Il ne part de presque rien, de choses qui ne le regardent pas, généraleme­nt autour d’une injustice. Plus que la notion de vérité, c’est celle de justice qui est importante à ses yeux. L’idée est de ne pas recourir au jugement des humains, mais plutôt de réparer un tort grâce à une justice qui est presque celle de Dieu. Il y a un côté quasi mystique chez lui, on le voit bien notamment dans Le Suspendu de Conakry, d’ailleurs inspiré d’un cas tout à fait réel dont j’ai eu à m’occuper à Dakar.

Le Flambeur de la Caspienne est-il aussi tiré d’un fait divers ?

• J.-C.R. L’idée m’est venue après un accident, un drame au cours duquel un ambassadeu­r a perdu sa femme dans des conditions jamais expliquées. Et qui – sans qu’il y ait la moindre preuve – pouvait ouvrir toutes les hypothèses y compris celle d’un complot. Il y a quelques mois, l’une des premières fois où je suis allé à Bakou, j’avais visité avec mon fils un endroit où, en effet, on pouvait faire facilement disparaîtr­e quelqu’un…

Vous avez été médecin, conseiller politique, diplomate, ces vies multiples nourrissen­t vos livres, que vous vous êtes d’ailleurs mis à écrire assez tard. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous tourner vers l’écriture ?

• J.-C.R. J’ai écrit des livres pour être heureux, parce que j’avais envie d’évoluer

dans un monde qui ne soit pas celui que j’avais sous les yeux qui, en tant que médecin, était celui du drame, de la tragédie, de la mort. Enfant, je lisais beaucoup mais je n’écrivais pas. C’était impensable de dire à ma famille que je voulais écrire. J’ai été élevé par mes grands-parents jusqu’à l’âge de 10 ans, puis par ma mère qui s’est épuisée au travail. Je devais choisir un vrai métier, gagner ma vie. Mon grandpère était médecin et j’ai suivi cette voie. J’avais 45 ans quand j’ai reçu le Goncourt du premier roman pour L’Abyssin, je l’ai vécu, pas vraiment comme un malentendu mais, disons, comme une divine surprise. Mais comment décide-t-on d’envoyer un manuscrit ? Parce qu’il y a l’envie d’écrire et celle d’aller au bout d’un livre, de le publier ? • J.-C.R. J’en ai envoyé plusieurs qui m’ont été refusés avec constance. J’ai persévéré et puis un beau jour, j’ai écrit ce livre, L’Abyssin, en cinq semaines, dans une espèce de transe à la suite d’une période très difficile : j’avais rencontré une fille depuis trois semaines, à qui on a diagnostiq­ué un cancer dont elle est morte. Dans ces circonstan­ces très dures, plus que jamais, j’avais envie d’écrire ce roman. C’est à ce moment que vous êtes devenu écrivain ? • J.-C.R. Oui, mais sans vraiment avoir de projet. Je suis environné de gens très sérieux qui font des carrières avec des oeuvres construite­s, dans lesquelles ils ont des tas de choses à dire… J’ai aussi une oeuvre mais qui se construit sur différente­s lignes. Et, au fond, elle me permet de me découvrir moi-même parce que ce n’est pas un corpus que j’ai en mémoire de façon consciente et que j’aurais voulu développer ; ce sont plutôt des intuitions personnell­es guidées par le plaisir. J’ai une seule boussole, le bonheur que j’ai d’écrire. Je n’ai pas du tout l’angoisse de la page blanche. On dit qu’il y a les écrivains qui aiment écrire et ceux qui aiment avoir écrit… Avez-vous une discipline, des journées rythmées par l’écriture ? • J.-C.R. Non, j’écris un, deux mois par an. Mais très vite. Par exemple, pour Le Collier rouge, je l’ai écrit en quelques jours pour qu’un ami, très malade, puisse le lire avant de mourir. J’aime cette urgence, et plus ça va vite, plus je suis heureux ! Vous vous décrivez comme un écrivain de la peinture plus que de la musique. Quel est le style Jean-Christophe Rufin ? • J.-C.R. Il tient presque du théâtre ! Parce que je suis très visuel, j’ai besoin de voir, de sentir. Et puis j’ai toujours admiré les auteurs qui étaient capables d’adapter leur style à l’histoire qu’ils racontent. Pour moi, le modèle, c’est Giono. Selon La Colline ou Le Hussard sur le toit, il est capable de changer de ton, de registre de langue. Si on commence à manier dans un polar les imparfaits du subjonctif, ça ne peut pas aller… Je suis, au fond, incapable de me discipline­r, de rester dans un seul registre. Vous vous considérez comme un écrivain populaire ? • J.-C.R. Oui et je le revendique d’ailleurs. Ce fut un honneur de succéder à Troyat à l’Académie française. Il fait partie, selon moi, de cette veine d’écrivains populaires. J’aime l’idée de parler à un grand nombre. J’ai toujours pensé qu’on pouvait tenir cette espèce de double contrainte : s’adresser à un large public tout en utilisant un vocabulair­e exigeant, des constructi­ons de phrases assez soutenues. Les lecteurs me suivent car un lien s’est créé entre eux et moi. Cela dit, les lecteurs d’Aurel sont un peu différents et je voudrais qu’il ait sa propre vie. Un peu comme Maigret et les romans durs de Simenon. Ce héros récurrent ne serait-il pas une parenthèse de légèreté dans votre oeuvre, faite de romans historique­s, d’aventures, de récits de voyages, de réflexions autobiogra­phiques ? • J.-C.R. C’est vrai, je voudrais le faire vivre de façon autonome.

Il y aura donc un quatrième volet ? • J.-C.R. Il y en aura autant qu’on en voudra. Au départ, on avait parlé de trilogie, je comptais en faire trois, pour voir, mais comme ça se passe bien, que j’ai plaisir à les faire et que les lecteurs ont plaisir à les lire… Mais je ne veux pas qu’il contamine le reste de ce que je fais. Il est dans un registre particulie­r.

Vous travaillez donc sur « le reste » en même temps ?

• J.-C.R. Oui, j’écris un roman sur la montagne, qui va paraître l’année prochaine. Depuis Frison-Roche et Henri Troyat, il n’y en a plus beaucoup qui s’en inspirent. On trouve des livres sur les accidents ou des livres de voyage, comme ceux de Sylvain Tesson, mais pas de vrais romans dans lesquels la montagne est un personnage.

Sera-t-il plus sombre, moins léger ?

• J.-C.R. Ce n’est pas un livre sombre parce que, justement, j’en ai assez de ne voir apparaître la montagne que quand il y a un hélicoptèr­e qui s’écrase. C’est une histoire d’amour, assez lyrique, et qui ne se termine pas mal ! [rires]

Homme d’action et d’engagement, vous avez été l’un des pionniers de Médecin sans frontières, président d’Action contre la faim, avez rempli des missions périlleuse­s en Afrique, dans les Balkans, au Moyen-Orient… Est-ce compatible avec l’immobilism­e inhérent au métier d’écrivain ?

• J.-C.R. En réalité, je n’ai jamais considéré que l’écriture soit un métier. C’est une activité qui est aux marges de l’action, dans laquelle on collecte tout ce dont on s’est empli pour le transforme­r en un monde virtuel. C’est un processus de recréation mais qui, pour moi, ne peut pas être isolé, c’est-à-dire qu’il faut qu’il soit précédé par l’action. Les vies qu’il y a dans mes livres sont pleines d’une vie qui est la mienne.

Quand la pandémie a atteint la France de plein fouet n’avez-vous pas eu envie de reprendre du service ?

• J.-C.R. Je me suis inscrit à la réserve sanitaire, mais on avait essentiell­ement besoin de réanimateu­rs et, en Haute-Savoie, où j’étais confiné, les médecins n’ont jamais vraiment été débordés. J’étais donc dans une situation un peu frustrante mais, en même temps, que pouvais-je faire ? En tout cas, cette crise m’a donné l’envie de me réinvestir dans l’action. Je vais donc occuper la présidence de la fondation humanitair­e Sanofi Espoir, qui met en place des programmes sur les cancers de l’enfant, sur les vaccinatio­ns, etc. Je pense que la santé va revenir au coeur du débat public. Et en m’engageant à leurs côtés, mon but est que ces grands opérateurs de la santé soient tirés vers une responsabi­lité sociale et qu’ils ne fassent pas que du business. C’est une façon de mouiller ma chemise dans ce milieu-là.

Vous avez dit lors d’un entretien que cette épidémie s’inscrivait dans un retour de l’Histoire. Que révèle cette crise, selon vous ?

• J.-C.R. Prenons l’exemple de l’alpinisme. J’ai commencé à gravir des montagnes dans le sillage de Frison-Roche. Le Club alpin français avait comme devise « Pour la patrie, pour la montagne », il y avait donc cette idée de souffrance, de drame, de mort. Puis, plus tard, avec Patrick Edlinger, son petit short, son bandana, le soleil du Verdon, on avait l’impression que tout à coup tout le côté tragique était absolument aboli. Ne comptait que l’image de ces gars qui sautent sur les pentes de neige, et l’élégance du geste. Ce qui est magnifique d’ailleurs. Mais même si l’on veut oublier le drame, il est toujours là. Ainsi pour cette crise : nous avons créé une sorte de bulle pendant des décennies après les guerres européenne­s, pensant avoir dépassé tout cela, mais le tragique est toujours là.

Nous pensions, en quelque sorte, être immunisés…

• J.-C.R. Oui, jusqu’aux attentats de Charlie où nous nous sommes à nouveau sentis vulnérable­s. Les affres de la guerre, de la tragédie sont à nos portes. Les migrants, les camps de réfugiés dans nos villes nous mettent aussi face aux drames qui se jouent dans ces pays qui semblaient si lointains. Avec l’épidémie, les cavaliers de l’Apocalypse sont de retour et rebattent toutes les cartes. Ce n’est guère, au fond, qu’un retour de l’Histoire qu’on a voulu oublier.

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