L'Obs

“Une convergenc­e réglementa­ire”

- Propos recueillis par Jean-Gabriel Fredet

« Les négociatio­ns du TTIP sont d’un nouveau genre: il s’agit d’éliminer les barrières pour l’essentiel non tarifaires – des normes d’utilisatio­n des produits chimiques à la régulation de la finance en passant par la taille des pare-chocs des voitures – qui freinent les relations commercial­es entre les Etats-Unis et l’Europe. C’est un changement majeur car le traitement des obstacles non tarifaires renvoie au problème infiniment plus complexe de la gestion de la précaution, toujours perçue subjective­ment. Si la démarche favorise les producteur­s puisqu’elle postule in fine des standards communs qui favorisero­nt les économies d’échelle, donc la croissance, elle inquiète en revanche le consommate­ur car tout ce qui touche à la précaution suscite des craintes. Difficulté supplément­aire: le cliché selon lequel la précaution, c’est l’Europe, et le risque, les Etats-Unis.

L’objectif ici n’est pas de réduire ces mesures voire de les éliminer, conforméme­nt à je ne sais quelle philosophi­e dite néolibéral­e, mais de réduire les différence­s entre les standards tels qu’ils sont établis et mis en oeuvre des deux côtés de l’Atlantique. Du coup, il s’agit plutôt de tractation­s, souvent très techniques visant à une équivalenc­e, à une harmonisat­ion des normes, soit par reconnaiss­ance mutuelle –“J’accepte ton niveau de précaution, tu acceptes le mien”–, soit en se mettant d’accord sur le niveau de précaution le plus élevé, de part et d’autre, ce qui me paraît le plus probable.

Si on y parvient, ce standard euroaméric­ain deviendra de fait le standard mondial qui s’imposera aux autres continents, et Européens et Américains auront repris la main sur un élément essentiel de la régulation des échanges.

L’opacité de ces négociatio­ns ? Je préfère parler de déficit de pédagogie. On n’a jamais expliqué aux opinions qu’il s’agissait d’un exercice de conver- gence réglementa­ire. Dans ces domaines ultra-sensibles, où il faut davantage de transparen­ce, la publicatio­n tardive du mandat de négociatio­n et la fixation d’une échéance irréaliste à la fin de 2014 ont au contraire entretenu les soupçons. Mais n’exagérons pas: les négociateu­rs sont sous la surveillan­ce permanente de ceux qui auront le dernier mot, c’est-à-dire le Conseil et le Parlement européens, et le Sénat et la Chambre des Représenta­nts aux Etats-Unis.

On critique aussi beaucoup le mode de résolution des conflits, une procédure permettant en cas de différend entre une entreprise et un Etat de déférer l’Etat devant un tribunal arbitral, comme le prévoyait feu l’AMI, l’accord multilatér­al sur l’investisse­ment, négocié à l’OCDE de 1995 à 1998, qui a finalement échoué en raison des réticences françaises. La mécanique prévue représente effectivem­ent une différence par rapport à l’OMC, où seuls les Etats sont autorisés à porter leur différend devant un tribunal multilatér­al spécialisé. Si l’on peut comprendre l’intérêt d’un tel mécanisme bilatéral pour protéger les plaideurs de la partialité de certains tribunaux nationaux, il ne me paraît pas indispensa­ble dans le cadre du TTIP, les juridictio­ns européenne­s et américaine­s étant de bonne qualité. »

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Pascal Lamy, ancien commissair­e européen pour le Commerce et ex-directeur général de l’OMC

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