Et revoilà les nonistes !
Hier, ils combattaient le plombier polonais. Aujourd’hui, ils remontent au front pour lutter contre la malbouffe et un traité commercial censé la favoriser
Elle avait prévu de reprendre le train à la mi-journée pour participer au défilé des fonctionnaires en fin d’après-midi à Paris. Mais Annick Coupé, la fondatrice de Sud-PTT, aujourd’hui responsable de la confédération interprofessionnelle Solidaires, avait compté sans la police belge. Ce 15 avril au matin, elle manifestait pacifiquement à Bruxelles contre le GMT (Grand Marché transatlantique) avec quelques centaines de « syndicalistes, de jeunes et d’attachés parlementaires », quand elle s’est retrouvée menottée. Au nom du principe de précaution! Une réunion du patronat européen se tenait à deux pas: « On a été emmené dans la banlieue de Bruxelles, raconte Annick Coupé. Là, on a été enfermé à vingt par cellule et relâché seulement vers 18heures. »
Revoilà les « nonistes » de 2005! A l’époque, ils s’opposaient à la Constitution européenne, symbolisée par le « plombier polonais », soupçonné de
Le Front de Gauche manifeste contre le traité transatlantique, le 17 mai à Paris. A gauche, Raquel Garrido, candidate aux européennes pour l’Ilede-France
concurrence déloyale. Aujourd’hui, ils combattent le GMT et ont trouvé un autre symbole: le poulet au chlore, que les Américains voudraient imposer à l’Europe au nom d’une conception quelque peu impérialiste de l’hygiène.
Ce débat s’est invité dans les élections européennes. Vu sa dimension écologique, les Verts s’en sont saisis les premiers. « Ce qui se négocie, ce sont des choix de société, explique Yannick Jadot, le porte-parole d’EELV dans la campagne en tête de liste dans l’Ouest. Nous refusons d’avoir plus d’OGM, de boeufs aux hormones et de viandes chlorées. »
Sans surprise non plus, le Front de Gauche a rejoint ce combat. Deuxième de la liste en Ile-de-France, Raquel Garrido dit sa satisfaction: « On a réussi ça: mettre sur la table la question du GMT. Ça donne une raison spécifique de voter, ça permet de ramener dans le jeu les déçus de Hollande. » Cette proche de Jean-Luc Mélenchon ajoute: « C’est plus progressiste de lutter contre le poulet au chlore que contre le plombier polonais. On ne met pas en cause des personnes. »
« C’est un sujet majeur pour l’avenir de la France, en particulier pour son agriculture: on ouvre la voie à la malbouffe. »
Tous contre le poulet au chlore donc, mais chacun selon sa couleur. EELV reste partisan d’une Europe fédérale: « Pour nous, ce traité, c’est la dilution du projet européen dans un grand marché, explique Yannick Jadot. On défend le saut d’intégration et ce traité serait un saut de désintégration. Ce n’est pas le même chemin que le Front de Gauche: nous, on ne veut pas nationaliser Alstom. »
De fait, la formation de Jean-Luc Mélenchon est ambiguë vis-à-vis de l’Europe. Résolument internationaliste, elle refuse le repli sur l’Hexagone. Mais rêve que Bruxelles rompe avec « le capitalisme financier européen » . En début de semaine, Mélenchon s’est félicité de l’excellent score de la gauche radicale grecque aux élections locales, y voyant l’amorce d’un « effet domino ».
Le FN continue de tracer sa route résolument nationale: « Ce projet, c’est un prolongement de la construction européenne, estime Aymeric Chauprade. Au bout, ce n’est plus l’Europe mais un bloc euro-américain. » « Il faut en revenir à un protectionnisme intelligent, assure Bernard Monot. Le libreéchange et l’euro ont déjà fait des millions de chômeurs. »
Le poulet au chlore va-t-il bouleverser la donne des européennes? Au vu des sondages actuels, il ne semble pas. Le FN est très haut depuis de longs mois, le Front de Gauche reste bas. Mais le débat, à l’évidence, ne fait que commencer.