Un calvaire méconnu
orsque le Pr Emile Daraï a examiné Clara (1), 31 ans, pour la première fois à l’hôpital Tenon, à Paris, il n’en a pas cru ses yeux. « Il a dit à mon fiancé que j’avais l’air de débarquer du tiers-monde tellement j’étais en mauvaise santé », raconte la jeune femme. Les tissus de l’endomètre, la muqueuse qui recouvre l’utérus, s’étaient répandus presque partout dans son corps : ovaires, rein, estomac, vagin « et même dans des endroits improbables que je ne connaissais pas, comme le culde-sac de Douglas [un repli du péritoine, NDLR] ! » Clara est atteinte d’endométriose. Dix ans de souffrance à en vomir mis sur le compte du stress, de l’angoisse ou des règles par une armada de médecins. Elle ne débarque pas d’un pays ruiné ou en guerre. C’est une jeune cadre parisienne issue d’un milieu favorisé, entourée de proches prompts à lui souffler le nom de tel ou tel « meilleur gynéco de la capitale ».
Mais, comme près d’une Française sur dix en âge d’avoir des enfants, elle est frappée par une pathologie si mal identifiée que le corps médical met entre sept et dix ans avant de poser le bon diagnostic. Il ne faut pas espérer mieux ailleurs en Europe: les délais sont tout aussi longs. « Il y a du retard parce que trop souvent les douleurs féminines causées par les règles ou les relations sexuelles sont banalisées », déplore le Pr Daraï, spécialiste de la maladie. « Un médecin très renommé m’a dit un jour : “Ma petite dame, prenez un Doliprane et un Spasfon et allez bosser !” » confirme Marie-Anne Mormina (2), 37 ans, à la tête de la très active association de patientes Lili H. Et parfois, même quand le praticien pousse plus loin et demande des examens complémentaires, il peut passer à côté de la maladie, faute d’être tombé sur un radiologue suffisamment formé pour repérer les lésions. « En fac de médecine, la part d’enseignement consacrée à l’endométriose n’est pas suffisante », dénonce le Pr Daraï.
Le Pr Bernard Hédon, président du Collège national des Gynécologues et Obstétriciens français, nie pour sa part tout défaut de formation dans sa branche, en première ligne dans le dépistage. « L’endométriose est un sujet majeur pour la gynécologie, c’est notre pain quotidien! Le problème est que les symptômes sont assez banals. Le seul examen valable pour dépister l’endométriose, c’est la coelioscopie [une petite intervention chirurgicale, NDLR]. Or, l’acte est invasif, il faut donc peser le pour et le contre. » En attendant, pour les femmes tombées dans les limbes de l’errance médicale, le calvaire est presque quotidien : maux de ventre et de dos qui foudroient et empêchent de se lever, alternance de constipation et de diarrhées, menstruations qui clouent au lit des jours durant, rapports sexuels douloureux, fatigue, anxiété, dépression… Avec, à la clé, pour 30 à 40% d’entre elles, l’infertilité. Parfois aussi, les «endogirls », le surnom que se donnent entre elles ces camarades d’infortune, n’ont presque pas de symptômes: c’est le fait de ne pas pouvoir tomber enceinte qui va alerter. Les causes de ce mal protéiforme sont encore assez mystérieuses. On pense que chez les personnes touchées, le sang des règles reflue vers le haut au lieu de s’écouler par le bas, ce qui permet aux cellules de l’endomètre de se propager à d’autres organes. Les chercheurs travaillent sur la piste des mutations génétiques. Autre axe d’étude : le rôle éventuel des perturbateurs endocriniens tels que la dioxine, le bisphénol A ou les phtalates. Les acides gras polyinsaturés et certains composants alimentaires pourraient aussi être en cause. « Depuis quinze ans, les formes sévères d’endométriose ont augmenté, ce qui conduit à s’interroger sur l’implication de facteurs environnementaux », estime le Pr Daraï.
La flambée de cas graves inquiète d’autant plus qu’aucun traitement spécifique n’existe. Des molécules sont certes à l’étude, mais aucune n’est encore assez aboutie pour être prescrite. Pour le moment, tout ce que les médecins peuvent faire, c’est stop-