Le projet de loi sur le renseignement vient d’être adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et va être maintenant examiné par le Sénat. Quel jugement portez-vous sur ce texte ?
Les défenseurs du projet ont raison de rappeler que la France était une des rares grandes démocraties à ne pas avoir un dispositif législatif encadrant les activités de renseignement. Cette situation mettait les agents des services dans une situation d’insécurité juridique et elle avait valu à la France une mise en garde de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rappelé que si l’activité de renseignement peut impliquer des dérogations à la protection de la vie privée, celles-ci doivent être strictement contrôlées. Il fallait donc une loi, sur ce point-là, tout le monde est d’accord. Mais cela ne su t pas à en faire une bonne loi, surtout lorsqu’on recourt à la procédure d’urgence, comme l’a fait le gouvernement. Depuis toujours, les pouvoirs politiques utilisent l’impact émotionnel du terrorisme pour passer en force. Mais c’est une tactique contreproductive, même lorsqu’on veut donner le maximum d’e cacité à la loi. Seul un débat démocratique permettra de trouver le bon équilibre entre la nécessité de maintenir les libertés fondamentales et les dérogations qui sont acceptables au nom de la sécurité. Plus on limite la discussion, plus on donnera l’impression qu’on cherche à limiter la vie privée et les libertés. Qu’est-ce qu’un vrai débat parlementaire aurait permis de mettre au jour ? Il aurait permis de distinguer ce qui est du ressort de l’antiterrorisme et ce qui relève d’autres activités de renseignement : espionnage, contre-espionnage, cybersécurité, renseignement économique, surveillance militaire, etc. Dans ces domaines, rien ne justifiait la procédure parlementaire accélérée. On peut parler d’un véritable e et d’aubaine : le gouvernement utilise les attentats de janvier pour pousser une loi dont les enjeux dépassent largement le terrorisme. Ainsi, l’un des buts est de légaliser les pratiques des agents afin qu’ils ne puissent pas être condamnés, ce qui revient à reconnaître que jusque-là ces pratiques étaient illégales et à donner aux agents un blancseing pour s’introduire dans nos vies, alors même que la fonction première de la loi est protéger le citoyen. Cela mérite discussion, tout de même ! Autre exemple : la Plateforme nationale de Cryptage et de Décryptement (PNCD), dont le gouvernement n’a admis l’existence que sous la contrainte des révélations du journal « le Monde », va trouver par cette loi un début d’o cialisation. Désormais, les services seront autorisés à intercepter tous types de communications électroniques. Là encore, il aurait mieux valu prendre le temps de discuter posément des missions du PNCD et de ses limites. Tout cela au moment où, dans la foulée de l’a aire Snowden, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne commencent au est maître de conférences des universités à SciencesPo et professeur au King’s College à Londres. Il dirige la revue trimestrielle « Cultures & conflits » (www.ccls.eu) et codirige la revue « International
Political Sociology ».