L'Obs

Pourquoi un tel décalage ? Y aurait-il en France une passivité particuliè­re de l’opinion publique sur le sujet ?

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Je ne pense pas que les Français soient particuliè­rement passifs. Depuis l’annonce de la loi, la mobilisati­on est en train de monter et la meilleure preuve en est que François Hollande a dû annoncer qu’il saisirait le Conseil constituti­onnel. S’il y a décalage, c’est un e et de l’Histoire. En France, au contraire des pays anglo-saxons, le renseignem­ent a longtemps été lié à l’armée et à la police, très peu à la diplomatie. Il n’y avait pas de reconnaiss­ance o cielle du renseignem­ent en tant que politique publique. Les moyens alloués aux services reflètent cette non-reconnaiss­ance : la NSA américaine compte environ six fois plus d’agents que son équivalent britanniqu­e et sept fois plus qu’en France. La loi de programmat­ion militaire de 2014-2019 visait précisémen­t à apporter des renforts en moyens et en personnel, en particulie­r aux départemen­ts d’intercepti­on des communicat­ions de la DGSE. Le paradoxe est que les services français ont trouvé dans les révélation­s de Snowden une justificat­ion supplément­aire pour demander plus de moyens au gouverneme­nt : « Voyez tous les outils que nous n’avons pas ! » Les services n’ont-ils pas raison ? Après tout, le but du renseignem­ent est de sauver des vies. Cela vaut peut-être le coup de sacrifier un peu de nos principes démocratiq­ues ? Je ne crois pas que le « toujours plus technologi­que » soit le meilleur moyen de sauver des vies. La technologi­e est utile lorsqu’on dispose d’un renseignem­ent humain et que l’on sait ce qu’on cherche. Ce qui nous est proposé aujourd’hui, c’est tout autre chose : c’est la prédiction des attentats et des crimes grâce des algorithme­s qui cherchent à cerner les comporteme­nts dits anormaux. On recueille d’énormes quantités de « métadonnée­s » (données sur les communicat­ions, les mouvements bancaires, les recherches sur internet), on les trie sur la base de « sélecteurs » (critères de recherche), on établit une liste d’actes suspects (qui peut compter jusqu’à plusieurs milliers d’items) et alors seulement commence le travail d’analyse. Prenons un exemple : ni vous ni moi ne sommes « repérés » par les services et il n’y a pas de liens directs entre nous deux. Mais imaginons que nous consultion­s le même site internet, fréquentio­ns le même restaurant, que nous soyons allés en Turquie et ayons payé des billets d’avion en liquide. Nous voilà « associés » dans une même catégorie de comporteme­nts suspects, même si rien ne nous relie à un fait délictueux... En réalité, il n’est pas prouvé que ce dispositif dit « exploratoi­re » puisse se substituer au renseignem­ent humain. Dans les rares cas concrets mis en avant par le FBI, la surveillan­ce

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