Pour certains, le véritable objectif du renseignement technologique n’est pas la lutte contre le terrorisme, mais la surveillance généralisée de toutes les formes de contestation.
Le projet de loi inscrit dans les objectifs du renseignement la lutte contre les « violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ». La formulation vise les violences provoquées par les militants d’ultragauche lors des manifestations autour de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou du barrage de Sivens. Clairement, de telles violences ne relèvent pas du terrorisme et le gouvernement opère un amalgame sans fondement. Le danger, c’est que toute forme de contestation, y compris non violente, finisse par être considérée comme illégitime. Au nom d’une situation présentée comme exceptionnelle, on prend en permanence des mesures exceptionnelles. C’est ce que le philosophe Giorgio Agamben propose d’appeler la « routinisation » de l’état d’exception. Pour ma part, je préfère parler d’un état de suspicion généralisé. Au coeur de la logique de la surveillance technologique, il y a l’idée qu’un individu est dangereux dès lors qu’il appartient à une certaine catégorie. Oui, et c’est une rupture avec les grands principes des Lumières. La justice criminelle, telle que l’a formulée par exemple Beccaria au siècle, suppose qu’un crime ait été commis et que les faits aient été vérifiés avant d’a rmer que tel individu est un criminel. A l’inverse, la justice préventive prétend être en mesure d’arrêter le criminel avant qu’il commette son crime. C’est la fameuse théorie du « précrime » que Philip K. Dick avait décrite dans « Minority Report ». A partir d’éléments de suspicion plus ou moins étayés, on construit un diagnostic de dangerosité dont on postule qu’il va se prolonger par un acte criminel. L’individu se voit alors retirer toute capacité de réflexion, toute autonomie d’action : il n’est plus qu’une machine obéissant à des déterminations. « Prévenir », ce n’est