L'Obs

EDMONDE “GONCOURT”

Toute sa vie, Edmonde Charles- Roux a essayé de faire coïncider la littératur­e et l’art de se vêtir. Parlons- en

- SOPHIE FONTANEL

La Mode pour tous n’était, hélas, pas une amie intime d’Edmonde Charles-Roux. Mais ça ne m’empêchait pas de l’appeler a ec-ectueuseme­nt Edmonde Goncourt (allusion à Edmond de Goncourt, le moustachu fondateur de l’Académie en question, dont notre héroïne du jour était la présidente de 2002 à 2014). Edmonde meurt âgée, après un passé de résistante, une love

a air quasi hollywoodi­enne avec un homme qui s’appelait Gaston et des fidélités sulfureuse­s en politique dignes d’être

pitchées pour une série télé de HBO. Et surtout, Edmonde meurt en symbolisan­t à jamais le mariage de deux entités pas tout à fait ennemies, mais presque : la mode et la littératur­e.

Moins poseuse que cette délicieuse ( je m’emballe) fouine mythomane de Diana Vreeland, elle a été aussi importante que cette directrice de presse américaine à qui on consacre désormais livres et documentai­res. Alors que sur Edmonde, rien. Les deux ont pourtant gouverné « Vogue » de manière inou- bliable, l’une aux États-Unis, l’autre en France.

Avec une complicati­on supplément­aire dans le cas d’Edmonde. Edmonde était écrivain. Elle faisait le grand écart entre la noblesse de la littératur­e et la sublime vanité des habits. Edmonde avait d’ailleurs ses conviction­s : elle savait qu’il y a tout aussi bien une vanité de la littératur­e (ouh que oui) et une noblesse de la mode (ouh que oui).

Or, voici : en voulant marier deux antipodes, Edmonde s’est mise, en quelque sorte, en marge de deux milieux à la fois. Deux milieux qu’elle a pourtant réunis. Edmonde pensait que cette fusion, certes ardue à gérer, était décisive pour le droit des femmes. Voilà pourquoi elle a introduit l’art dans les magazines féminins, dans l’édition française de « Vogue » en l’occurrence.

La légende dit que, sur 70 pages, elle avait décidé d’en consacrer la moitié à la culture. Et attention, pas la culture des petits bras. Non, la haute culture, face-à-face avec la haute couture. La légende se trompe peut-être : si ça se trouve, dans la tête d’Edmonde, tout était culture, aussi bien les mots que la mode.

En tout cas, elle part, pas assez consacrée, et La Mode pour tous a dans l’idée qu’elle paie le fait d’être sortie des clous. Aux yeux de la littératur­e, elle avait bien des défauts. Du succès, déjà. Un goût pour le grand genre, aussi : il paraît qu’elle allait à la Fête de l’Huma en tailleur Chanel. Ensuite, elle avait une manière bien à elle de troubler les moeurs (littéraire­s) : un de ces plus beaux livres, c’est une bio de Chanel. Le mélange des genres jusqu’au bout. Il su t de se plonger dans « l’Irrégulièr­e ou Mon itinéraire Chanel » pour constater combien la plume d’Edmonde est ample, solaire.

Dernier péché, Edmonde était un people, comme on dit maintenant. Je me souviens de quelqu’un, formidable­ment agacé par elle, qui l’avait baptisée jadis « Dame People ». C’est vache. On s’en fiche. Ce quelqu’un est oublié, aujourd’hui. Alors qu’Edmonde, vous verrez, sa notoriété ne fera que grimper.

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