L'Obs

La saudade de Besson

Hélène a perdu son mari, et Mathieu son amant. Philippe Besson orchestre leur rencontre dans un hôtel de Lisbonne

- LES PASSANTS DE LISBONNE, PAR PHILIPPE BESSON, JULLIARD, 192 P., 18 EUROS. CLAIRE JULLIARD

Ça commence comme un récit de Duras. Dans un hall d’hôtel à Lisbonne, le héros, Mathieu Belcour, est frappé par une femme brune au visage de madone. Comme chaque jour depuis deux semaines, elle reste assise pendant des heures dans le jardin intérieur, immobile au milieu des bougainvil­liers. Intrigué, attiré par sa tristesse, le jeune homme décide de l’aborder. Il sait qu’elle est française comme lui. La femme s’appelle Hélène Villedieu, elle l’invite à sa table. Au fil des conversati­ons, les vacanciers s’apprivoise­nt. Tous deux ont subi une perte, leur vie a basculé. Le mari d’Hélène a péri dans le tremblemen­t de terre de San Francisco. Mathieu a été quitté par l’homme qu’il aimait. La veuve s’est mise à l’écart du monde, pour ne pas gêner les autres avec son chagrin. Dans la ville portuaire, elle fait le point. « C’est curieux, note l’auteur, comme on compte sur les exils pour régler nos névroses et comme on doit convenir rapidement qu’ils ne règlent rien. » Ces endeuillés s’attachent l’un à l’autre. Avec pudeur et simplicité, ils dévoilent des pans de leur drame et s’avouent leur solitude, leur abandon. Mathieu finit par évoquer ses virées nocturnes, sa fuite en avant dans les bras d’inconnus, garçons ou femmes. Des aventures qui n’endiguent pas sa douleur mais qui l’aident à oublier l’absent.

Ce dialogue entre deux naufragés dans la moiteur d’un jardin étou ant, puis le long des ruelles pentues de la ville, est empreint d’une paisible nostalgie. Toutefois, le récit ne se limite pas à un tête-à-tête désenchant­é. Lorsqu’on croit avoir fait le tour d’une rencontre insolite mais vouée à demeurer un souvenir, une parenthèse, une tierce personne entre en scène, le fameux deus ex machina du théâtre grec. Et le destin du héros bascule une nouvelle fois. Car si les personnage­s de ce roman sont portés au désespoir, ils éprouvent aussi le besoin de faire « reculer l’obscurité ». D’une écriture sobre et précise, Philippe Besson déploie, une fois de plus, un art consommé du roman. Visiblemen­t envoûté par Lisbonne, il lui dédie cette histoire douce-amère, inspirée par la poésie du fado, la fameuse saudade, intraduisi­ble mélange de manque, de désir et de mélancolie.

EN CHIFFRES Philippe Besson est l’auteur de 17 romans, dont

« Son frère » (2001), adapté au cinéma par Patrice Chéreau, « l’ArrièreSai­son » (grand

prix Lire-RTL 2002), « Un instant d’abandon », vendu à 70000 ex., « Se résoudre aux adieux »

(68 000).

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