L'Obs

ÉLOGE DU VOISINAGE

Fini les projets à grande échelle : qui veut changer le monde doit commencer par changer son pâté de maisons. Un activiste suisse propose des dispositif­s ingénieux

- ÉRIC AESCHIMANN

Décroissan­ce, démocratie locale, coopératio­n, communs, circuits courts… Toutes ces idées alternativ­es qui circulent aujourd’hui, c’est bien beau, mais comment fait-on concrèteme­nt ? Le e siècle nous a appris à nous méfier des utopies. De même qu’une conversion forcée au communisme finit forcément dans le sang, il est à craindre qu’un monde repeint en vert ne tourne à la dictature écolo. Et pourtant, qui n’a envie d’agir? Pour surmonter la contradict­ion, « Voisinages & Communs » élabore une utopie concrète, c’est-à-dire des bouts de solution qu’on peut mettre en oeuvre séparément et qui ne prétendent pas régler tous les problèmes. « Les propositio­ns que je fais ici ne sont ni exhaustive­s ni nécessaire­ment réalistes », écrit l’auteur, un activiste suisse qui vit dans une coopérativ­e d’habitation à Zurich et signe de ses seules initiales, « P. M. ». Dans une démarche proche des débats de Nuit debout, il met ses idées au pot commun, à charge pour chacun d’en faire ce qu’il veut, pour continuer à réfléchir ou pour agir.

Au départ, il y a une suite de constats : nous ne pouvons plus continuer à polluer la planète au rythme actuel; nous voudrions coopérer plutôt que d’être concurrent­s ; nous perdons trop de temps dans les transports… Bref, « nous devons sortir d’un système instable, fragile, périssable et autodestru­cteur ». Mais il ne s’agit pas de remplacer un modèle par un autre. Au contraire, il faut concevoir un mélange de plusieurs méthodes et plusieurs échelons, qui s’équilibrer­ont les uns les autres. Dans le monde qu’imagine « Voisinages & Communs », l’Etat, le coopératif et le marché ne s’opposent pas, mais coexistent. Les légumes frais, on les cultivera dans le potager collectif ; la santé relèvera du service public; le beau pull en laine sera fabriqué par des entreprene­urs indépendan­ts.

L’échelon de base s’appelle un « voisinage ». C’est le pâté de maisons, soit entre quatre et huit cents habitants, qui mettent en commun leur approvisio­nnement en nourriture, ce qui leur évitera bien des allers-retours au supermarch­é. La plupart des aliments proviendro­nt de terres agricoles situées à moins de 100 kilomètres (il faut 80 hectares pour nourrir cinq cents habitants), ce qui réduira le transport, le stockage dans les frigos, l’emballage – autant d’énergie économisée. Tenu par les habitants, l’entrepôt pourra jouxter une salle à manger commune, une bibliothèq­ue, un bar – de quoi combler les moments de solitude. Mais on pourra aussi continuer à se faire à manger chez soi.

Cinq cents personnes, c’est comme un village, ça permet de se rendre des services tout en évitant l’apparition d’une administra­tion profession­nelle. Pour le reste, comme dans n’importe quelle collectivi­té, il y aura ceux qu’on aime bien, ceux qu’on déteste et la majorité qui nous indi ère. Le but n’est pas la communauté, où tout le monde est supposé aimer tout le monde, ce qui engendre forcément des drames. « Le diable est grand dans un petit village », dit un proverbe équatorien. Tout comme aujourd’hui, de nombreuses activités auront lieu hors « voisinage » : le centre médical, l’école, les commerces, les cafés et restaus relèveront du quartier, les musées et les université­s de la région, etc.

Bien sûr, ce schéma a parfois des airs de Meccano un peu ridicule, sorti du cerveau d’un utopiste fou. Rassurons-nous, il n’y a guère de chances que le monde ressemble un jour à ça. Mais la vertu de cette fiction est que chaque maille de son système oblige à envisager des problèmes pratiques et des solutions inattendue­s, qui font travailler l’imaginatio­n et amènent à regarder la vie actuelle autrement. Ce qui est la véritable utilité des utopies. « Voisinages & Communs », par P. M., L’Eclat, 186 p., 12 euros.

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