L'Obs

Un critique dans tous ses ébats

JOURNAL 1944-1952, PAR JACQUES LEMARCHAND, CLAIRE PAULHAN, 464 P., 43 EUROS.

- DELFEIL DE TON

Nous l’avions laissé en octobre 1944, Paris venait d’être libéré, il n’avait pas vu arriver la chose avec enthousias­me. En 1943, il avait failli succéder à Drieu la Rochelle à la tête de « la Nouvelle Revue Française ». Par chance, la revue avait cessé de paraître et il se retrouve, les Allemands en allés, à partager le bureau de Camus rue Sébastien-Bottin. Il n’était ni collabo ni résistant, juste un peu trafiquant au marché noir, ce que c’est qu’un destin. Camus en fit le critique dramatique de « Combat ». Il s’y fit si bien remarquer que « le Figaro littéraire » l’engagea pour contrebala­ncer les sottises de JeanJacque­s Gautier dans « le Figaro » quotidien.

Critique, il fut le meilleur et ce n’est pas Beckett, Ionesco, Adamov, Audiberti, Genet qui vous auraient dit le contraire. Ce fut un âge d’or du théâtre d’auteurs, il en fut un guide à qui l’on doit encore de la reconnaiss­ance. Par ailleurs, il baisait beaucoup. Camus de même, mais Lemarchand (photo) avait une meilleure santé. Son journal nous le montre dans tous ses ébats. Après comme pendant la guerre, les dames ne lui sont pas farouches. Du coup, souvent elles lui pèsent. Qui aurait pensé, voyant Renée Saurel aux générales des théâtres en marge, et qui lui avait succédé à « Combat », que c’était la chevauchée fantastiqu­e de ces deux critiques respectés? Nous n’ignorons plus grandchose non plus des histoires d’alcôve de la maison Gallimard à qui les jaloux faisaient la réputation d’un cercle de « pédérastes », comme il se disait alors. Ce tome 2 du « Journal » nous montre à quel point c’était réputation usurpée. Les belles passent de main en main et leurs séduisants de bras en bras. Il y a des jeux de portes entre la famille de Gaston et ses employés. C’est amusant, c’est éternel, sur certains noms il ne reste qu’à mettre des visages d’aujourd’hui et on y est.

La comédie humaine. La vie littéraire. La vie de bureau. On y fumait comme des sapeurs, mais c’est le tabac qui manquait. Heureuseme­nt, le prestige de l’écriture est intact. On passe volontiers dans ces bureaux-là : « 6 décembre 1944. […] Elle reste un bon moment. Elle m’a apporté une quarantain­e de mégots. »

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