L'Obs

La revanche des femmes

Avec Angela Merkel, Theresa May et bientôt peut-être Hillary Clinton, trois des cinq premières puissances mondiales pourraient être gouvernées par des femmes en 2017. Est-ce la fin de l’ère des machistes en politique? Pas si sûr…

- SARAH HALIFA-LEGRAND

A ssise sur la banquette arrière de la voiture, Hillary Clinton lève les yeux du énième portrait d’elle au vitriol qu’elle vient de découvrir dans la presse du jour et soupire : « Eleanor Roosevelt avait raison: pour survivre en politique, une femme doit avoir une peau de rhinocéros. » Celle qui n’est alors que première dame vient de trouver la devise qui va la mener jusqu’aux portes du bureau Ovale. Hillary Clinton est entrée dans le monde des amazones. Le monde des femmes au cuir dur. Des dames de fer. La lignée de Golda Meir, Indira Gandhi, Margaret Thatcher n’a pas à rougir de sa descendanc­e : avec Angela Merkel, Theresa May et peut-être Hillary Clinton, trois des cinq premières puissances mondiales pourraient être bientôt gouvernées par des femmes. Ces Jeanne d’Arc qui montent à l’assaut de la citadelle masculine du pouvoir veulent croire en une révolution copernicie­nne. En juillet, la Première ministre écossaise,

“LES FEMMES ÉMERGENT COMME DES LEADERS POTENTIELS DANS LES MOMENTS D’INSTABILIT­É” FARIDA JALALZAI, CHERCHEUSE AMÉRICAINE

Nicola Sturgeon, tweetait une photo de sa première rencontre avec la Britanniqu­e Theresa May, accompagné­e de ce commentair­e jubilatoir­e: « En laissant de côté les opinions politiques – j’espère que partout les filles regardent cette photo et réalisent que rien n’est hors de portée pour elles. » Désormais toutes ont les yeux braqués sur l’Amérique. « Quand j’ai pris les rênes du pays, en 1981, je n’étais que la cinquième femme à accéder au pouvoir dans le monde démocratiq­ue. Aujourd’hui, elles sont de plus en plus nombreuses, et si Hillary Clinton gagne, cela entérinera le passage dans cette nouvelle ère », s’enthousias­me Gro Harlem Brundtland, qui fut la première femme à la tête du gouverneme­nt norvégien, puis la première directrice de l’Organisati­on mondiale de la Santé. Signe indéniable que les choses changent, Madeleine Albright, première femme à avoir occupé le poste de secrétaire d’Etat et marraine politique de toute une génération, qu’elle a encouragée, raconte que, des années après avoir quitté le Départemen­t d’Etat, où lui ont succédé Condoleezz­a Rice et Hillary Clinton, elle discutait avec des amis de la difficulté pour la gent féminine d’accéder à cette fonction lorsque sa petite-fille l’a interrompu­e: « Je ne comprends pas où est le problème. Secrétaire d’Etat, n’est-ce pas un métier de femmes ? »

Vive la Femokratie ! L’auteure allemande Mara Delius en est convaincue: voici « des Electre postmodern­es en tailleur-pantalon et gants en caoutchouc », écrit-elle en juillet dans « Die Welt », venues « nettoyer le désordre créé par les hommes » ! Et c’est vrai, ces dernières années, toutes ont brisé le fameux plafond de verre en pleine tempête. Tous les hommes de la CDU, ou presque, sont mouillés dans le scandale sur le financemen­t du parti quand Angela Merkel, en 2000, devient la première femme présidente de l’Union chrétienne-démocrate, ce qui lui ouvrira les portes de la Chanceller­ie. En juillet dernier, c’est parce que tous les acteurs masculins du Brexit qui ont fait basculer le Royaume-Uni dans l’inconnu sont démissionn­aires que Theresa May émerge comme l’unique candidate au 10 Downing Street. En Ecosse également, lorsque Nicola Sturgeon prend la tête du SNP, le parti sécessionn­iste écossais est en plein marasme: son prédécesse­ur Alex Salmond vient de démissionn­er après l’échec du référendum d’indépendan­ce. Et Christine Lagarde n’a-t-elle pas été la première femme à accéder à la tête du Fonds monétaire internatio­nal après la chute de DSK? C’est le syndrome du glass cliff, la « falaise de verre ». « Cette théorie née dans les milieux des affaires est totalement appropriée à ce qui se passe en politique sur la scène mondiale, juge la chercheuse américaine Farida Jalalzai. Les femmes émergent comme des leaders potentiels dans les moments d’instabilit­é, soit parce qu’il n’y a plus d’option masculine viable, soit parce que les hommes jugent la situation si mauvaise qu’ils ne veulent pas s’y risquer, de peur de trop y perdre. » Non seulement Hillary Clinton ne s’impose comme dernier recours qu’après l’échec d’Obama, le super-héros noir qui a déçu les espoirs en ne parvenant pas à ressuscite­r le rêve américain, mais elle est de surcroît l’épouse de Bill. « Son cas est exemplaire car il illustre les deux règles que l’on retrouve continuell­ement à travers le monde, explique Farida Jalalzai : le plus souvent, quand une femme accède au pouvoir, si ce n’est pas le “glass cliff ”, c’est qu’elle bénéficie du patronage masculin d’un homme puissant, mentor, père, mari… » Cristina Kirchner femme de Néstor, Dilma Rousseff protégée de Lula et tant d’autres… Chaque fois que des talons hauts résonnent sur les marches du pouvoir, ils rappellent donc que le monde de la politique est en vérité toujours aussi macho. Ce qui n’empêche pas les femmes de se révéler compétente­s une fois aux commandes. « Nos succès mais surtout nos échecs sont regardés à la loupe, ce qui nous oblige à être meilleures », remarque l’actuelle présidente de la Lituanie, Dalia Grybauskai­té. La misogynie ordinaire s’attarde au sommet. Erna Solberg, l’actuelle Première ministre de Norvège, l’a appris de la manière la plus cruelle. « Il y a des inconvénie­nts à être une femme chef d’Etat, nous écrit-elle: lors de mes voyages officiels, on prend par-

fois un homme de ma délégation pour le Premier ministre. Mais il peut aussi y avoir des avantages: les femmes au pouvoir ont souvent plus de marge de manoeuvre pour montrer une facette d’elles-mêmes plus personnell­e et plus émotionnel­le. »

Femmes de pouvoir dans un monde sous domination masculine, elles cherchent tant bien que mal à s’accommoder de cette ambivalenc­e. Tout au long de sa campagne, on a vu Hillary Clinton en championne des droits de la femme s’exclamer, la main sur le coeur : « Je me tiens devant vous en tant que fille de ma mère et mère de ma fille », pour l’entendre ensuite, martiale, se camper en commandant en chef des armées. Theresa May revendique son goût immodéré pour les chaussures, qu’elle voit comme un moyen de « briser la glace » – ce qui n’est pas sans rappeler les bijoux de Madeleine Albright, qui faisaient « partie de son arsenal diplomatiq­ue personnel » –, avant de se déclarer prête à autoriser une frappe nucléaire même si cela pouvait exterminer 100 000 hommes, femmes et enfants. Mais, quoi qu’elles en disent, l’homme demeure encore aujourd’hui l’étalon-or du pouvoir. Ségolène Royal, qui avait fait campagne sur sa féminité en 2007, n’a pas survécu dans cet univers de testostéro­ne. « J’ai constaté combien le vernis égalitaire est encore fragile et avec quelle brutalité peuvent resurgir les vieux réflexes pour disqualifi­er une femme qui s’aventure là où on ne l’attend pas, là où certains ne la veulent pas. Mijaurée ou virago, l’alternativ­e n’est pas nouvelle », concluait celle qui a été la cible continue d’attaques sexistes, quelques mois après son échec à la présidenti­elle. Cheveux courts, pantalon ou, à la rigueur, tailleur sobre, peu ou pas d’enfants, celles qui réussissen­t gagnent le respect de leurs pairs en neutralisa­nt les stéréotype­s féminins de douceur ou de compassion pour s’attribuer les attributs

“J’AI CONSTATÉ […] AVEC QUELLE BRUTALITÉ PEUVENT RESURGIR LES VIEUX RÉFLEXES POUR DISQUALIFI­ER UNE FEMME.” SÉGOLÈNE ROYAL

masculins de la force et de l’autorité. Huit des dix-neuf femmes aujourd’hui chefs d’Etat et de gouverneme­nt dans le monde sont étiquetées « dames de fer » ! « Si l’on adopte un style masculin, c’est parce qu’il faut s’imposer dans un monde où l’homme est le modèle, et la femme, l’exception », reconnaît l’ancienne présidente finlandais­e Tarja Halonen. Mais, prédit-elle, « cela pourrait changer avec le nombre croissant de femmes au pouvoir ». Elles ont plus que doublé depuis 2005, selon le Pew Research Center, mais elles ne représente­nt encore qu’un dixième des dirigeants des Etats membres de l’ONU. On est encore bien loin de la « masse critique » (de 20% à 30% selon les experts) qui permettrai­t aux femmes de remodeler la culture globale du pouvoir. D’autant qu’aux échelons inférieurs, le compte n’y est en général pas non plus. Elles sont ainsi seulement 20% à siéger au Congrès américain.

A quoi ressembler­ait donc le monde s’il était gouverné par des femmes ? « Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, la crise économique aurait été différente ! » avait lancé Christine Lagarde en 2010. La présidente chilienne, Michelle Bachelet, estime, elle, que « les femmes sont des pacificatr­ices ». Des études concluent qu’elles seraient plus collaborat­ives, plus enclines à chercher le consensus. Foutaises, rétorque l’ex-présidente lettone Vaira Vike-Freiberga : « Assumer le pouvoir, c’est comme apprendre à lire et à écrire. On a longtemps pensé que cela non plus ce n’était pas pour nous. Depuis qu’on s’y est mises, a-t-on montré qu’on lisait et écrivait différemme­nt des hommes? » Rares sont celles qui se révèlent de véritables leaders féministes, comme l’Ecossaise Nicola Sturgeon, qui s’est constitué, aussitôt élue, un cabinet à 50% féminin. « L’histoire n’en a jusqu’à présent compté que cinq. Mais si elle est élue, Hillary Clinton sera la sixième », parie la Norvégienn­e Gro Harlem Brundtland. « Elle va batailler pour le congé parental, la garde d’enfants, l’égalité de salaire, promet Melanne Verveer, qui a été sa chef de cabinet puis son ambassadri­ce pour les droits de la femme. L’égalité des sexes, c’est son grand combat. » Bill avait été prévenu. Alors qu’il était au pouvoir, il avait interrogé, goguenard, le mari de l’ex-présidente finlandais­e Tarja Halonen : « Qu’est-ce que cela fait d’être l’époux d’une chef d’Etat ? » Ce dernier lui avait répondu : « Monsieur le président, je pense que vous survivrez à cette situation. »

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 ??  ?? Gro Harlem Brundtland, première femme à diriger le gouverneme­nt norvégien, en 1981.
Gro Harlem Brundtland, première femme à diriger le gouverneme­nt norvégien, en 1981.
 ??  ?? Nicola Sturgeon, Première ministre écossaise depuis 2014.
Nicola Sturgeon, Première ministre écossaise depuis 2014.
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 ??  ?? Des dames au caractère bien trempé : Hillary Clinton, Angela Merkel et Theresa May.
Des dames au caractère bien trempé : Hillary Clinton, Angela Merkel et Theresa May.
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 ??  ?? A gauche, Christine Lagarde, nommée à la tête du FMI en 2011, après la chute de DSK. Au centre, Margaret Thatcher, la « Dame de fer » britanniqu­e. A droite, la présidente chilienne, Michelle Bachelet, réélue en 2014.
A gauche, Christine Lagarde, nommée à la tête du FMI en 2011, après la chute de DSK. Au centre, Margaret Thatcher, la « Dame de fer » britanniqu­e. A droite, la présidente chilienne, Michelle Bachelet, réélue en 2014.
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