L'Obs

“PLUS TRUMPIEN QUE THATCHÉRIE­N”

L’économiste Patrick Artus* décrypte le programme de Fillon : baisses d’impôts pour les entreprise­s, creusement du déficit, risque de hausse des inégalités. Verdict : “une stratégie risquée”

- Propos recueillis par SOPHIE FAY

François Fillon se présente comme le chantre de la rigueur et des réformes libérales. Peut-on qualifier son programme de thatchérie­n ? Il n’est pas si rigoureux que cela : il propose aussi de faire un gros déficit public. C’est plutôt trumpien que thatchérie­n ! Il a un budget en année 1 avec cinq points de PIB de déficit ! Il promet beaucoup de baisses d’impôts et de cotisation­s (déductions d’impôts pour les investisse­ments dans les PME, suppressio­n de l’ISF et d’un certain nombre de taxations des revenus du capital…). Il flexibilis­e le marché du travail : contrat unique, relèvement des seuils sociaux, flexibilit­é de la durée du travail, régime des autoentrep­reneurs, référendum d’entreprise, dégressivi­té des allocation­s chômage… Et il réduit les dépenses publiques, mais progressiv­ement. Cela prendra du temps : la diminution de 500 000 ou 600 000 postes de fonctionna­ires se fera sur dix ans, le report de l’âge légal de départ à la retraite, ce sera en 2022. C’est une politique budgétaire expansionn­iste avec des baisses d’impôts non financées, et une grande flexibilit­é du marché du travail. C’est plutôt Reagan que Thatcher. Ce « reaganisme » peut-il répondre aux problèmes de compétitiv­ité de la France ? Pas vraiment. Aujourd’hui, nous avons quatre problèmes. Un, nous sommes plus chers que nos concurrent­s dans la zone euro comme l’Espagne. Deux, nous avons un problème massif de chômage des non-qualifiés. Trois, nous allons avoir un problème budgétaire avec la remontée des taux d’intérêt. Quatre, les classes moyennes sont très inquiètes pour leur avenir du fait de l’absence de mobilité sociale.

Sur le premier problème, les baisses de cotisation­s que propose Fillon (gagées par une hausse de deux points de TVA) ne seront jamais assez fortes pour nous ramener au niveau espagnol : il faudrait pour cela supprimer toutes les charges ! Impossible ! Il ferait mieux de regarder ce que fait notre voisin allemand et de s’interroger sur la montée en gamme de notre industrie, sur la faible robotisati­on, sur l’innovation. Il n’y a pas grand-chose non plus dans son programme sur la formation profession­nelle, alors que c’est le vrai sujet, la seule voie pour faire baisser le chômage des personnes peu qualifiées (16% en France), comme le montrent les exemples canadien, suédois, suisse ou allemand… Son programme propose de créer des emplois en augmentant les inégalités et la flexibilit­é pour les salariés les moins qualifiés. C’est la méthode anglaise : des contrats de travail ultraflexi­bles, mal payés, qui finissent par créer une immense frustratio­n et le Brexit. Il me semble qu’il n’y a pas assez de réflexion sur les politiques de sortie du chômage qui n’impliquent pas un accroissem­ent des inégalités. Il veut aussi allonger le temps de travail. Un bon point pour la compétitiv­ité ? Les 35 heures seraient abrogées, et les entreprise­s pourraient négocier librement le temps de travail dans la limite de 48 heures. Dans la fonction publique le temps de travail repasserai­t à 39 heures. Mais les entreprise­s ne sont même pas demandeuse­s ! Elles peuvent déjà moduler le temps de travail sur l’année assez facilement. C’est donc vraiment idéologiqu­e. Quand on demande aux entreprene­urs quels sont leurs problèmes, ils mentionnen­t les normes, les règles et les problèmes de formation : ils n’arrivent pas à embaucher les gens qu’ils cherchent. Fillon parle trop du coût du travail et pas assez de la qualité. Peut-il laisser filer les déficits ? Pour stabiliser le taux d’endettemen­t public en France, il faudrait un déficit de l’ordre de 2,5% du PIB. Cette année, on va être à 3,5%, un point de trop. Fillon dit qu’il va aller à 5% [4,7% en 2017 dans son programme, NDLR] ! Je ne sais pas si c’est acceptable pour les marchés financiers. Surtout qu’on est dans une dynamique de remontée des taux à long terme. C’est donc une stratégie risquée. (*) Chef économiste de la banque Natixis.

“IL N’EST PAS SI RIGOUREUX QUE CELA : IL PROPOSE AUSSI DE FAIRE UN GROS DÉFICIT PUBLIC.”

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