L'Obs

La poésie de Jarmusch

PATERSON, PAR JIM JARMUSCH. COMÉDIE AMÉRICAINE, AVEC ADAM DRIVER, GOLSHIFTEH FARAHANI (1H53).

- PASCAL MÉRIGEAU

Une semaine dans la vie de Laura, de Paterson et de Marvin, leur chien. Une semaine où rien ne se passe d’inhabituel et où tout est pourtant inattendu, merveilleu­x. Paterson est chauffeur de bus. L’acteur qui l’incarne se nomme Adam Driver (photo), précisémen­t. Laura, que sublime la lumineuse Golshifteh Farahani (photo), se consacre à leur gentille maison qu’elle décore en noir et blanc exclusivem­ent. Ses vêtements sont aussi en noir et blanc, comme le nappage des cupcakes qu’elle confection­ne, comme la guitare dite « Harlequin » qu’elle commande sur internet. Elle se rêve en chanteuse folk, espère avoir un jour des jumeaux et faire fortune grâce à ses gâteaux, qu’elle vend sur le marché du dimanche. Quand ensemble ils vont voir un film, naturellem­ent, il est noir en blanc (« l’Ile du Dr Moreau », avec Charles Laughton) et Laura juge délicieuse l’impression qu’elle a éprouvée ce soir-là de « vivre au xxe siècle ». La tarte cheddar-choux de Bruxelles qu’elle a cuisinée ne paraît pas si réussie que cela (Marvin s’est endormi lourdement après l’avoir goûtée, et les deux époux la font passer à grands coups de flotte). Mais Laura et Paterson s’aiment d’amour tendre. On songe aux lointains cousins du couple de flics de « Fargo ». Mais l’essentiel n’est pas là. Ou plus exactement, il est là. C’est que Paterson est aussi poète. Chaque moment de liberté est l’occasion de tracer quelques lignes dans un carnet secret, et seule Laura a la chance de l’entendre lire ses vers (Paterson est, à raison, assez fier de son poème sur leurs allumettes préférées). Chaque soir après dîner, Paterson sort Marvin et s’arrête un moment au bar pour une bière et un échange de quelques mots avec le patron et certains habitués. Paterson vit à Paterson, New Jersey, la ville d’Allen Ginsberg, de Lou Costello (oui, le partenaire d’Abbott) et de William Carlos Williams (qui donna le nom de Paterson à un de ses recueils de poèmes). Le film de Jarmusch se nourrit de tout cela, il l’expose, le met en scène, en use comme de multiples contrepoin­ts et variations, s’amuse avec tout, avec lui-même en premier lieu, fait du spectateur son partenaire de jeu, et pour finir convoque un visiteur japonais, venu d’Osaka spécialeme­nt pour la poésie de Paterson, la ville. Et tout cela donne, en toute simplicité, une merveille absolue !

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