L'Obs

La chronique

Essayiste, auteur de « Notre France. Dire et aimer ce que nous sommes ».

- Par RAPHAËL GLUCKSMANN

de Raphaël Glucksmann

L ongtemps on se souviendra de 2016, annus horribilis du projet européen. Du Brexit à la destructio­n d’Alep, chefd’oeuvre macabre de Vladimir Poutine soulignant notre impuissanc­e en mondovisio­n, de la débâcle de Matteo Renzi à l’alliance russo-turque à nos portes, en passant par une primaire de droite, en France, qui n’eut pas une minute à lui consacrer en huit heures de débats, tout a, dans l’année écoulée, illustré et nourri la crise que traverse l’Union européenne. Une crise que l’élection américaine éclaira soudaineme­nt d’une lumière apocalypti­que.

Désormais coincée entre Donald Trump et Vladimir Poutine, l’Europe n’a d’autre choix que de s’affirmer. D’être, enfin, véritablem­ent. Ou de cesser d’être, complèteme­nt. L’alliance occidental­e risquant de laisser place à une « bromance » virile entre Moscou et Washington, l’Europe va-t-elle devenir adulte ? Privée du parapluie américain qui jusque-là la plongeait dans l’illusion d’une éternelle enfance, se résoudrat-elle à grandir ? Voilà l’immense défi de 2017.

Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Union ne semble pas prête à le relever. Nous sommes arrivés au bout de la stratégie dite « des petits pas » qui présida cahin-caha à soixante-dix ans d’avancées communauta­ires. Battus en brèche dans les têtes et dans les urnes, les partisans de la constructi­on européenne doivent comprendre ce qui ne fonctionne pas dans leur Union d’experts-comptables. Pour ne pas voir le rêve de Victor Hugo des « Etats-Unis d’Europe » sombrer avec la technostru­cture qui le dévoie.

Car, soyons honnêtes, les pourfendeu­rs souveraini­stes de l’Union européenne ont souvent raison et leurs succès ne reposent pas que sur du vent. Ils ont raison de dénoncer l’aberration démocratiq­ue d’une monnaie unique sans gouverneme­nt représenta­tif, raison de s’alarmer des failles sécuritair­es d’un espace commun sans parquet fédéral ni police commune, raison de vilipender le dumping provoqué par un marché commun sans normes sociales partagées, raison de moquer l’évanescenc­e post-historique d’un géant économique sans épée ni bouclier, inadapté aux temps troublés.

Défendre l’entre-deux actuel est une cause perdue d’avance. Personne ne descendra dans l’arène pour sauver l’Europe de Juncker. Comme personne n’était prêt à combattre pour celle de Barroso. Un magma technocrat­ique perméable aux lobbys et incapable de mettre autre chose que des ponts sur ses billets de banque ne fera jamais vibrer les peuples. Tant que les référendum­s opposeront le non-choix d’un statu quo à bout de souffle au choix de la souveraine­té nationale, les défaites s’empileront. Et l’Europe mourra sans jamais avoir pleinement été.

Il est urgent, donc, d’assumer une vision aussi cohérente que celle des nationalis­tes. Ils déduisent de l’absence d’un parquet commun la nécessité de restaurer les frontières internes ? Créons le parquet, les services, la police capables de protéger cet espace commun. Ils induisent de l’inexistenc­e d’un gouverneme­nt de la zone euro l’inévitable retour au franc ? Imposons ce gouverneme­nt économique européen. Ils critiquent une technocrat­ie sans visage ni symbole ? Elisons un président européen au suffrage universel, forgeons ces symboles. Ils voient dans l’absence d’armée européenne la preuve de l’impossibil­ité d’une souveraine­té européenne? Accouchons de cette Communauté européenne de défense (CED) repoussée depuis soixante ans. Quand le président américain lui-même ne croit plus à l’Otan, ce n’est plus une option, c’est une nécessité. Voilà, au fond, notre chance : l’obligation qui nous est faite par l’Histoire de choisir, l’impossibil­ité de l’esquive.

On dénoncera le « yaka, faukon ». On objectera que tout cela est « irréaliste ». On recourra à cette fausse sagesse qui sert d’excuse au renoncemen­t et au sommeil. Mais c’est précisémen­t la continuati­on du même, comme si de rien n’était, comme si le Brexit n’avait pas eu lieu, comme si Trump n’était pas à la Maison-Blanche, comme si Poutine ne menaçait pas notre sécurité, comme si Erdogan ne basculait pas dans l’autoritari­sme le plus hostile, comme si l’insurrecti­on nationalis­te au sein de nos sociétés était un épiphénomè­ne, qui est devenue profondéme­nt, absolument, totalement irréaliste. C’est l’absence de vision qui aujourd’hui relève de l’irénisme.

De cela, la droite française a décidé de ne pas débattre et a choisi pour la représente­r son leader le plus kremlino-trumpo-compatible. Elle a zappé le principal défi de notre temps. Aux divers candidats de gauche de s’en saisir dans la campagne qui commence. Accepteron­s-nous d’être les valets faussement « souverains » de Trump et Poutine ? Ou oserons-nous, enfin, devenir souveraine­ment européens ?

“L’EUROPE VA-T-ELLE DEVENIR ADULTE ? VOILÀ L’IMMENSE DÉFI DE 2017.”

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