L'Obs

Le point de vue

- Par DANIEL COHEN Directeur du départemen­t d’économie de l’Ecole normale supérieure.

de Daniel Cohen

E tablir un revenu de base inconditio­nnel pour tous, octroyé à tout individu, dès sa naissance, sans aucune condition de statut familial ou profession­nel. Le principe, révolution­naire, étant que l’on aurait droit à ce revenu d’existence parce qu’on existe, et non pour exister. » Ignacio Ramonet, ancien directeur du « Monde diplomatiq­ue », avait ainsi résumé, dans un article publié en 2000, l’enjeu du revenu de base. Le thème a brutalemen­t resurgi dans le débat public. La Finlande a lancé une vaste expériment­ation. Le départemen­t de la Gironde s’y est engagé aussi. Un rapport du Sénat lui a été consacré. Parmi les candidats à la primaire, Benoît Hamon et Manuel Valls s’y sont déclarés tous deux favorables.

Le revenu de base a cette particular­ité d’avoir des défenseurs enthousias­tes aussi bien à droite qu’à gauche. Aux Etats-Unis, Milton Friedman et James Tobin, l’un monétarist­e l’autre keynésien, l’ont tour à tour défendu. L’idée suscite des opposition­s tout aussi vives dans les deux camps. A droite chez ceux qui dénoncent l’assistanat et à gauche chez ceux qui font le raisonneme­nt exactement inverse, à savoir que cette mesure permettrai­t aux employeurs d’offrir des emplois encore plus précaires.

La principale opposition, toutefois, vient des sceptiques qui font remarquer que le coût global de cette mesure serait exorbitant. Donner, disons, 700 euros par mois à tous les Français, coûterait plus de 500 milliards par an, soit un quart du PIB ! On peut courageuse­ment l’assumer, mais la marche est haute… Une formule plus économe et mieux ciblée semble nécessaire pour rallier les suffrages.

Des chercheurs de l’Ecole d’Economie de Paris, Antoine Bozio, Julien Grenet et Lucile Romanello, ont formulé une propositio­n qui peut servir de point de départ. Leur idée est de fusionner le RSA et l’APL (l’aide personnali­sée au logement). Ils notent que l’aide au logement ne dépend plus du loyer payé dans 80% des cas, le plafond étant presque toujours atteint (l’exception est pour les HLM, pour lesquels un dispositif spécifique devra être maintenu). La fusion avec le RSA offrirait un nouveau socle de solidarité aux plus démunis. En raisonnant à coût constant, elle permettrai­t d’accorder à une personne seule 624 euros, dont serait soustrait 32% du revenu gagné (au premier euro). La mesure serait donc limitée à qui gagne moins de 1950 euros, mais ouverte sans restrictio­n à tous ceux qui sont sous ce plafond. Un effort financier additionne­l sera nécessaire pour remonter le minimum (à 700 euros par exemple) et l’étendre aux moins de 25 ans. Le coût final du dispositif dépendra du curseur choisi, mais sera, par constructi­on, réaliste…

D’aucuns y verront un renoncemen­t à l’idée initiale, universell­e, d’autres n’accepteron­t pas le principe d’une dotation sans contrepart­ie. La mesure est en effet modeste, mais c’est sa force : elle met sur un sol ferme le débat sur le type de protection, pas seulement monétaire, qu’une société doit à ses membres « parce qu’ils existent, et non pas pour exister ».

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