Passé/présent A qui appartient Jérusalem ?
En projetant d’y établir l’ambassade américaine, le président Trump risque de rallumer un conflit millénaire
A l’automne dernier, une résolution de l’Unesco mettait le gouvernement israélien et ses soutiens en rage car elle se référait aux lieux saints de Jérusalem sous leur nom arabe, ce qui semblait nier leur filiation juive. En ce mois de janvier, la volonté affichée du président Trump de déplacer l’ambassade américaine de Tel-Aviv jusqu’à la Ville sainte a tout, au contraire, pour réjouir M. Netanyahou et les nationalistes mais effraie la communauté internationale. La pieuse cité, décidément, garde intacte sa capacité à enflammer les passions. Tentons brièvement de rappeler pourquoi.
Les bases du problème, cela n’aura échappé à personne, sont religieuses. L’histoire de Jérusalem est indiscutablement liée à l’histoire juive. Conquise vers l’an 1000 avant notre ère par le roi David, elle devient la capitale du royaume d’Israël, qui réunit les Hébreux. Son fils Salomon y fait construire le Temple, lieu central où officient les prêtres. Il est détruit par les conquérants babyloniens (586 av. J.-C.), puis reconstruit. Mais ce second Temple, agrandi par le roi Hérode le Grand, au début de l’ère commune, est finalement détruit, en 70 de notre ère, par les Romains, après une révolte contre eux. Il ne reste du monument sacré qu’une fondation de pierre, ce fameux mur des Lamentations sur lequel, depuis des siècles, les Juifs viennent pleurer la perte de leur indépendance et, parfois, rêver de la reconstruction du « troisième temple » qui, selon certains, marquera la fin des temps.
Seulement, depuis des siècles – c’est toute la complexité de l’affaire –, deux autres grands monothéismes ont crû dans cette même tradition. Jésus, célèbre Juif de Galilée né sous ce même Hérode, est le père d’une religion nouvelle – le christianisme – mais son destin est lié à celle dans laquelle il a vécu. N’a-t-il pas été crucifié à Jérusalem, d’où il est revenu des morts? C’est autour du lieu supposé de ce qui fut son tombeau éphémère que les chrétiens, plus tard, ont édifié l’église du Saint-Sépulcre.
Comme les deux précédents cultes, l’islam se revendique de la filiation d’Abraham, le patriarche des Hébreux, et cette influence se joue aussi dans le lien avec Jérusalem : c’est de l’endroit même où se trouvait
le Temple que Mahomet aurait commencé son voyage nocturne, périple miraculeux qui le conduisit jusqu’aux cieux. Dès le moment où les Arabes musulmans conquièrent la cité (viie siècle), ils fondent cet attachement par la pierre en construisant une puis deux mosquées sur le dôme du Rocher qui n’est donc autre, pour les Juifs, que ce mont du Temple au pied duquel reste le fameux mur…
Pendant longtemps, dans ce trio complexe, le faceà-face explosif se joue entre musulmans et chrétiens, comme le montre l’épisode des croisades, menées pour « libérer le tombeau du Christ ». Au milieu du xixe siècle, la guerre se déroule même entre chrétiens : les querelles autour du Saint-Sépulcre entre orthodoxes (soutenus par la Russie) et latins (soutenus par Paris) sont une des causes de la guerre de Crimée. Tout change quand Theodor Herzl, dans les années 1890, lance le projet sioniste. Depuis des siècles, la rituelle promesse de Pâque de se retrouver « l’an prochain à Jérusalem » était un voeu pieux. Elle devient une option politique. Les Anglais promettent aux sionistes de les aider à la concrétiser mais, après trente ans de présence en Palestine (1917-1948), s’en retirent en passant l’affaire à l’ONU. Son plan de partage de 1947 prévoit un Etat pour les Juifs et un autre pour les Arabes, mais précise que Jérusalem, à cause de sa nature particulière, sera un corpus separatum, une ville gérée internationalement.
Sur le terrain personne n’a, depuis, accepté cette option. Dès qu’en mai 1948 la guerre commence entre le tout nouvel Etat hébreu et les Arabes, les troupes israéliennes occupent la partie occidentale de la Ville – où s’installent bientôt la Knesset et le gouvernement – tandis que les Jordaniens prennent l’Est, où ils saccagent le quartier juif. En 1967, l’éblouissante victoire de la guerre de Six-Jours permet aux Israéliens d’unifier la ville mais sa partie orientale, comme le reste des conquêtes d’alors – Cisjordanie, Golan, Sinaï, Gaza – est considérée internationalement comme une zone d’occupation. Cela n’empêche nullement Israël de commencer une politique massive d’implantation de logements puis, sous l’impulsion de la droite, de voter en 1980 une loi fondamentale qui fait de la ville la capitale « une et indivisible » du pays. En 2000, le député Sharon va plus loin. En paradant sur l’esplanade des Mosquées, il brise un statu quo séculaire qui réservait le lieu aux musulmans, et déclenche la seconde Intifada. Tous ces gestes apparaissent en effet, pour les Palestiniens, comme autant de chiffons rouges agités sous leurs yeux, puisque eux aussi, non sans raisons historiques ou religieuses, estiment que cette même ville doit être la capitale de leur futur Etat. C’est pour éviter d’entrer dans ce conflit crucial que les Etats de la communauté internationale jugent sage, depuis 1948, de garder leurs ambassades à TelAviv. M. Trump entend rompre avec cette tradition. Cela s’appelle jouer avec le feu.