L'Obs

Tartuffe

VA-T-IL COULER LA DROITE ?

- Par CAROLE BARJON, AUDREY SALOR ET MAËL THIERRY

Samedi 4 février, fin de journée. Pour la centième fois de la semaine, la sonnerie du portable de Bruno Retailleau retentit. C’est Laurent Wauquiez au bout du fil. « Je ne ferai rien pour déstabilis­er Fillon », lui dit le président de la région Auvergne-RhôneAlpes. Tiens ! Retailleau réprime un sourire de soulagemen­t. Pour le coordinate­ur de la campagne du candidat LR, c’est le signe que les choses bougent enfin. La veille encore, Wauquiez exprimait publiqueme­nt ses « doutes » et demandait à Fillon de « les lever », faute de quoi, « il faudra en tirer les conséquenc­es ». En une journée, Wauquiez a changé d’avis… Il n’est pas le seul : ce samedi est la journée du grand retourneme­nt, celle où la droite, qui veut gagner la présidenti­elle, comprend qu’elle n’a pas de plan B. Pourtant, depuis quatre jours, la rébellion menaçait de tourner à l’insurrecti­on, suivie d’une mise à mort, en bonne et due forme. Récit.

MERCREDI 1er FÉVRIER. C’est la panique chez les députés depuis la deuxième salve de révélation­s du « Canard enchaîné », paru le matin même. Les élus républicai­ns sont sous le choc. Ils se sentent trahis par un homme qu’ils semblent découvrir. Un parlementa­ire dont ils ont toujours eu du mal à cerner la personnali­té. Un taiseux qui les a trompés. Beaucoup se souviennen­t alors du jugement sévère de Jacques Chirac sur Fillon, ce « nonfiable », ou de Nicolas Sarkozy qui, comme Jean-Louis Borloo, le surnomme toujours « le fourbe ». Ils le croyaient simplement réservé, secret. Ils découvrent un personnage dissimulé. « Un tartu e qui nous mène droit dans le mur », explose l’un d’eux. Faux dévot, Fillon ? Ou plutôt faux vertueux ? L’ancien Premier ministre traîne en tout cas une solide réputation de sournois. Sans doute parce qu’aux questions parfois directes de ses interlocut­eurs, il dit rarement oui, ou non. Il

En présentant ses excuses aux Français, le candidat à la présidenti­elle a évité une insurrecti­on de ses troupes. Mais le “Penelopega­te” laissera des traces sur l’image de celui qui se présentait comme un élu exemplaire. Récit des quelques jours qui ont ébranlé la droite

veut réfléchir. Il se préserve. Ce qui avait le don d’exaspérer Sarkozy pour qui il est « un indécrotta­ble faux-cul ».

La colère des députés est d’autant plus grande qu’ils connaissen­t, eux, le système parlementa­ire par coeur. Pour la plupart, ils ont découvert, estomaqués, que François Fillon était très bien organisé. Ainsi, le salaire de sa femme Penelope est augmenté dès qu’elle n’est plus employée par lui, mais par son suppléant, car lorsqu’on fait travailler un parent, il est soumis à un plafond. Preuve ensuite qu’il savait bien que ses petits arrangemen­ts n’étaient pas conformes à la morale du temps : il n’avait jamais mentionné le nom de sa femme dans le trombinosc­ope de l’Assemblée. Enfin, le député Fillon avait volontaire­ment mis fin à ces pratiques en 2013 car, a-t-il expliqué publiqueme­nt, « je sentais que ce n’était plus bien accepté par l’opinion ». Coïncidenc­e ? C’est précisémen­t en 2013 qu’est promulguée la nouvelle loi sur la transparen­ce qui oblige à fournir le nom de ses assistants parlementa­ires… Loi qu’il s’est, du reste, bien gardé de voter.

Bref, François Fillon, qui les a réunies à son QG, a fort à faire pour convaincre les troupes LR de tenir. Bien peu se manifesten­t, hormis le sénateur Gérard Longuet, prêt à le « soutenir jusqu’au bout ». Arrivé en retard, François Baroin se réfugierai­t bien dans le silence, mais le micro qu’on lui tend d’autorité l’oblige à dire quelques mots. Fillon demande « quinze jours » de sursis, « sinon le camp de l’alternance sera réduit au silence ». Peine perdue. Déjà, un sondage donne Fillon troisième, éliminé au premier tour. A la sortie, le député du Rhône Georges Fenech, proche de Laurent Wauquiez, réclame son retrait et la réunion d’un conseil national extraordin­aire du parti.

En coulisses, certains dressent déjà l’acte de décès du candidat. Y compris ceux qui ont signé une tribune de soutien publiée dans « le Figaro » le matin même… « C’est la catastroph­e, s’affole l’un d’eux. Dans les transports, dans les bureaux, les gens ne parlent que de ça. Arrêtez-le, débranchez-le. Même si la justice classe l’affaire sans suite, il reste l’entorse à la morale. » Au siège des Républicai­ns, rue de Vaugirard, on ne compte plus les appels d’adhérents en colère. « Allez lancer une campagne d’appels aux dons avec ça », se lamente un permanent… Comme cet élu parisien, tous jugent la situation « intenable ». Pour eux, Fillon est devenu « le chef de l’Ordre du Temple solaire qui les mène au suicide collectif ».

JEUDI 2 FÉVRIER. La pire journée de la semaine pour François Fillon. On apprend l’audition par le parquet financier de sa « garde de fer » depuis trente ans : sa plume Igor Mitrofanof­f, puis sa secrétaire Sylvie Fourmont. Le sort du candidat semble scellé. Au Bonaparte, un déjeuner aux allures de complot réunit Bruno Le Maire et deux de ses proches, Thierry Solère, porte-parole du candidat Fillon, et Sébastien Lecornu, président du conseil départemen­tal de l’Eure. La veille, ce dernier, pourtant directeur adjoint de la campagne de Fillon, a refusé de répondre à la presse locale. « Il n’est pas le porte-parole du candidat, il ne commente pas l’actualité », a-t-il fait répondre par son service de presse à Normandie-actu. Bruno Le Maire, lui, a déclaré la veille également sur BFMTV que « les sommes en jeu choquent beaucoup de Français ».

Pour le député de l’Eure, le silence de Fillon n’est plus tolérable. Il faut, dit-il encore, que « chacun ait le courage de reconnaîtr­e ses erreurs et expliquer que certaines pratiques dépassées ont pu choquer ». Pour ces trois-là qui préparent déjà la suite, l’aventure Fillon est terminée. Ce qu’il faut maintenant, c’est empêcher à la fois le retour d’Alain Juppé et bloquer François Baroin. Et pour cela, le mieux est encore que Fillon tienne quelque temps encore. « Si tu poses le sac, je serai candidat dans l’heure », expliquera donc Le Maire à Fillon…

De son côté, Gérard Larcher s’active. Filloniste de la première heure, le président du Sénat se sent pourtant trahi, lui aussi. Depuis la veille, il doute de l’avenir de son champion. Alors, il reçoit tous azimuts.

Baroin, Le Maire, Wauquiez, députés et sénateurs, juppéistes et sarkozyste­s. Pour lui, le seul plan B acceptable se nomme Alain Juppé. Le lendemain, il a rendez-vous avec François Fillon à 14h30. Décidé à prendre son courage à deux mains, il veut lui demander de jeter l’éponge. Au nom du salut de sa famille politique.

VENDREDI 3 FÉVRIER, 14H30. Le rendez-vous de Gérard Larcher avec François Fillon tourne court. Tôt le matin, l’informatio­n suivant laquelle le président du Sénat va tenter de « débrancher » Fillon a fuité dans « l’Obs ». Larcher n’a d’autre choix que d’affirmer son soutien. D’autant qu’en 24 heures, la situation a changé. Le député de l’Ain Damien Abad assure que « le socle électoral reste solide ». Cet ex-lemairiste, aujourd’hui membre de la cellule argumentai­re de Fillon, argue de la légitimité que lui confère le vote triomphal de la primaire et de la ligne politique qu’ont choisie ses électeurs, « ni celle de Juppé, ni celle de Sarkozy ». Sa conclusion : « Le plan B, c’est B comme bancal. » Un député du Sud craint, lui, l’explosion de la droite si Fillon se retirait. « Le pousser dehors c’est suicidaire. Une fois que les types seront sortis du bois, ce sera la guerre. On peut revivre ce qu’on a connu entre Copé et Fillon. Au bout de trois semaines, on aura peut-être un candidat, mais on sera mort. »

Ces élus ne croient pas si bien dire. Après avoir vu ou eu tous les ténors de la droite au téléphone, Bruno Retailleau a tiré sa propre conclusion dès le jeudi soir : il n’y a aucun plan B. « Ils s’entre-dévorent tous », lâche-t-il, impression­né et ravi à la fois. Le Maire ne veut pas de Baroin qui ne veut pas de Wauquiez, et aucun des trois ne veut de Juppé. En outre, le noyau dur est solide. Frigide Barjot vient de lancer une pétition « Fillon, tiens bon ! » Quant à Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous, elle ne mégote pas son soutien.

Nicolas Sarkozy est lui aussi passé par là… Malgré la secrète satisfacti­on qu’il éprouve de voir « Fillon-le-fourbe » à terre (lire p. 34-35), l’ancien président conseille en substance à ses amis : « Ne faites rien qui puisse gêner Fillon. » L’heure est trop grave. Et puis, Sarkozy, qui ne croit plus en cette fin de semaine à aucun plan B pour sa famille politique, n’oublie pas que son électorat de la primaire était proche de celui de Fillon. Si la droite devait être éliminée au premier tour de la présidenti­elle, l’ancien président ne veut pas qu’on puisse lui en imputer une quelconque responsabi­lité.

SAMEDI 4 FÉVRIER. Requinqué, François Fillon passe à la contre-offensive. Il passe la journée au téléphone. Et, pour une fois, il appelle les gens lui-même. Il était temps. Voilà dix jours que sa garde rapprochée désespère qu’il donne de sa personne. Voilà plus d’une semaine que Fillon-le-solitaire se mure. Enfermé avec lui-même comme toujours, au point de décourager ses plus proches fidèles. « Il faut qu’il y mette un peu du sien », soupirait l’un d’eux quelques jours plus tôt, qu’il nous dise “les gars, j’ai merdé”, sinon c’est foutu. » Un autre fulminait : « Ça suffit de vivre tout seul, comme ça ! » Cette fois, l’orgueilleu­x Fillon se démène comme un fou. « C’est moi ou le chaos. Aucun plan B ne tient la route », répète-t-il inlassable­ment à tous ses interlocut­eurs en leur brossant le tableau noir d’une impossible relève.

Il avait en fait repris espoir l’avant-veille, en tenant meeting à Charlevill­e-Mézières. Certes, il a fallu sortir de la salle deux individus un peu bruyants, mais il y avait nettement plus de monde qu’il ne craignait. Il a même fallu ajouter des chaises. Et ce samedi, jour de marché, les remontées du terrain ne sont pas aussi catastroph­iques que prévu. La sénatrice-maire de Beauvais Caroline Cayeux l’a constaté elle-même dans sa ville. Certes, elle s’est fait engueuler, comme tous ses pairs, en distribuan­t ses tracts « Stop à la chasse à l’homme ! », mais, constate-t-elle, une large majorité de gens lui disent de tenir bon. Et dans sa communauté de communes, la quasi-totalité des maires ne veulent pas entendre parler d’un retrait de Fillon de la course. Ce que confirmera le sondage de l’Ifop dans « le JDD » : 64% des électeurs LR souhaitent qu’il maintienne sa candidatur­e.

DIMANCHE 5 FÉVRIER, 15 HEURES. La garde rapprochée de François Fillon est à nouveau réunie au QG de campagne, pour la énième fois depuis le début de la crise. « Bayrou nous sauve ! » plaisante l’un des ténors. Invité du « Grand Jury » RTLLCI, quelques heures auparavant, le président du MoDem a flingué Fillon. Ce dernier, coupable d’une « atteinte à la décence », selon François Bayrou, n’aurait « pas d’autre solution » que de se retirer de la course à la présidenti­elle. Rien de tel que ce missile du « traître » qui a fait élire Hollande pour remobilise­r les troupes des Républicai­ns.

Tenir, donc. Et, pour ce faire, reconnaîtr­e ses torts. Donner au moins le sentiment qu’il comprend le trouble de ses partisans, comme il le fera le lendemain dans sa conférence de presse. En s’avouant « déstabilis­é », en disant ce dimanche 5 février que le ciel lui était tombé sur la tête, qu’il avait « mis du temps à réagir », Fillon se résigne à faire ce qu’il avait refusé la semaine précédente : affronter le « tribunal médiatique ». Comme toujours, cet homme à l’« orgueil incommensu­rable », selon l’un de ses très proches, ne se résout à communique­r qu’au moment où il est acculé. Au risque de laisser le poison faire son oeuvre. Au risque d’abîmer son image, notamment auprès des personnes âgées (coeur de son électorat), choquées par son comporteme­nt.

Mais, au-delà de la détériorat­ion de son image, désormais associée à l’argent, le « Penelopega­te » a mis en lumière la conception vieillotte que Fillon a de la politique. Son côté « hors sol ». « Il n’a pas mesuré que certaines choses ne passent plus aujourd’hui, remarque un député proche de lui. On ne peut plus plonger la tête dans le sable, comme l’autruche. Il donne le sentiment de ne pas avoir compris que le monde a changé, d’être resté bloqué à l’époque de nos débuts en politique. »

La campagne poussive de François Fillon pour la primaire de la droite, dixhuit mois durant, rappelle aujourd’hui à son camp qu’il ne suscitait pas une adhésion massive. L’ancien Premier ministre a su saisir au vol « son moment », exploiter au mieux le rejet de ses deux concurrent­s, Sarkozy et Juppé. Mais la fragilité de ses soutiens aujourd’hui lui rappelle cruellemen­t que, malgré son score impression­nant le 27 novembre dernier, il ne fut jamais qu’un candidat par défaut.

“IL DONNE LE SENTIMENT DE NE PAS AVOIR COMPRIS QUE LE MONDE A CHANGÉ, D’ÊTRE RESTÉ BLOQUÉ À L’ÉPOQUE DE NOS DÉBUTS EN POLITIQUE.” UN DÉPUTÉ PROCHE DE FRANÇOIS FILLON

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Penelope Fillon, entourée de son mari et de Bruno Retailleau, coordinate­ur de la campagne du candidat, au meeting de la Villette, le 29 janvier.
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