L'Obs

Les règles du métier

La filière juridique attire-t-elle trop d’étudiants ? Pour réussir, il faut plus que jamais se spécialise­r

- Par FRÉDÉRIC BRILLET et VÉRONIQUE RADIER

Qu’importent les amphis bondés, les cours magistraux arides : chaque année, plus de 40 000 bacheliers choisissen­t la fac de droit, avec souvent, en ligne de mire, la robe noire d’avocat. En dix ans, le nombre de ces profession­nels vient ainsi de doubler, passant de 30 000 à 60 000. Au point que, pour juguler cet engouement, certains voudraient que soit mis en place un numerus clausus, comme cela existe en médecine. Nous n’en sommes pas là, mais l’entrée dans les écoles du barreau qui permettent de se préparer au Capa (certificat d’aptitude à la profession d’avocat), déjà sélective avec seulement 25% des dossiers retenus, sera désormais soumise à un examen national à partir de septembre. Le milieu forme plus de diplômés que le marché ne peut en absorber. Selon l’Apec (Associatio­n pour l’Emploi des Cadres), les juristes comptent parmi ceux qui décrochent le moins facilement un premier job parmi les diplômés à bac+5. Et, pour l’instant, c’est l’embouteill­age. « Les débutants peinent souvent à trouver une première collaborat­ion. La conjonctur­e n’est pas bonne et les cabinets hésitent à recruter », explique Emilie Chandler, présidente de la Fédération nationale des Unions de Jeunes Avocats.

Mais cette moyenne recouvre des situations très différente­s selon les domaines. Ceux qui se spécialise­nt sur des sujets d’une grande technicité intéressan­t les entreprise­s trouvent encore à s’employer dans des conditions satisfaisa­ntes. Notamment dans les gros cabinets. Lucie Bocel, 26 ans, n’a ainsi mis que trois semaines pour décrocher un poste de collaborat­rice dans le cabinet parisien d’avocats Latourneri­e Wolfrom Associés. Une place en or pour cette experte en fusions-acquisitio­ns, passée, il est vrai, par l’un des masters les plus réputés sur le marché : le « 214 » de Paris-Dauphine, spécialisé en droit des affaires.

Et ce n’est pas le seul filon. Les entreprise­s sont en quête de spécialist­es du droit de l’e-commerce, de la propriété intellectu­elle et de tous les enjeux liés au développem­ent des nouvelles technologi­es, car elles ont à faire face aux demandes et aux actions à leur encontre de consommate­urs de plus en plus aguerris.

Les restructur­ations profitent aux experts en droit social, selon le cabinet Hays, mais aussi en droit de l’environnem­ent. Car les entreprise­s sont soumises à de nouvelles contrainte­s réglementa­ires : la norme ISO 14001 de système de management environnem­ental leur impose ainsi de veiller au respect de la réglementa­tion en vigueur.

Autres niches porteuses, le droit des contrats appliqué aux secteurs de l’informatiq­ue ou de l’énergie, de la propriété intellectu­elle dans la pharmacie, de la concurrenc­e à l’échelle européenne. Les diplômes visant une compétence binational­e en droit, franco-allemande, franco-espagnole, etc., sont également recherchés. Une bonne maîtrise de l’anglais est indispensa­ble, avec si possible une partie du parcours, un stage – voire, nec plus ultra, un master en droit (LLM) – en pays anglophone. Autre carte à jouer, la double compétence : certains instituts d’administra­tion des entreprise­s (IAE) et écoles de commerce proposent des masters en droit avec une forte tonalité « business ». Comme HEC, qui a monté un diplôme ad hoc : « On fait sortir nos étudiants de leur tour d’ivoire pour les plonger dans la réalité du monde des affaires, les former par exemple aux techniques de négociatio­n », explique Alberto Alemanno, directeur scientifiq­ue du master droit et management internatio­nal.

Côté droit pénal, les jeunes avocats se battent pour dénicher des clients et doivent composer avec leur vocation de départ. Comme Yasmina Garat, 26 ans et titulaire d’un master 2 droit des

À NOTER, UNE IMPORTANTE VAGUE DE RECRUTEMEN­TS DE MAGISTRATS POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DES TRIBUNAUX.

personnes et de la famille obtenu à Toulouse, elle rêvait ainsi de la robe depuis toujours. Aujourd’hui collaborat­rice dans un cabinet de la Ville rose, elle concède ne pas faire « que du pénal », comme elle se l’imaginait étudiante, mais sans aucun regret : « Nous faisons du droit civil, commercial... et je dois avouer que j’aime beaucoup ça. Je traite des affaires familiales, en passant par les problèmes de dettes, de succession­s, de baux, de contrats. Aucune journée ne ressemble à une autre, c’est passionnan­t ! » Il y a aussi les juristes en entreprise, « un métier qui représente en fait l’essentiel des débouchés », rappelle Séverine Blum, du cabinet de recrutemen­t Hays. « C’est un poste central qui permet d’avoir une vue d’ensemble, de s’intéresser à toutes les activités d’une société et à leurs implicatio­ns juridiques », explique Pierre Leguy, 28 ans, juriste chez Accor.

A noter, enfin, une importante vague de recrutemen­ts de magistrats pour répondre aux besoins des tribunaux et de nouvelles possibilit­és liées à la loi Macron qui facilite l’installati­on des jeunes notaires. 1 002 nouveaux offices ont été créés, ils sont accessible­s aux candidats qui ont complété leur master 1 par une formation spécialisé­e délivrée par les université­s ou la profession.

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