Les règles du métier
La filière juridique attire-t-elle trop d’étudiants ? Pour réussir, il faut plus que jamais se spécialiser
Qu’importent les amphis bondés, les cours magistraux arides : chaque année, plus de 40 000 bacheliers choisissent la fac de droit, avec souvent, en ligne de mire, la robe noire d’avocat. En dix ans, le nombre de ces professionnels vient ainsi de doubler, passant de 30 000 à 60 000. Au point que, pour juguler cet engouement, certains voudraient que soit mis en place un numerus clausus, comme cela existe en médecine. Nous n’en sommes pas là, mais l’entrée dans les écoles du barreau qui permettent de se préparer au Capa (certificat d’aptitude à la profession d’avocat), déjà sélective avec seulement 25% des dossiers retenus, sera désormais soumise à un examen national à partir de septembre. Le milieu forme plus de diplômés que le marché ne peut en absorber. Selon l’Apec (Association pour l’Emploi des Cadres), les juristes comptent parmi ceux qui décrochent le moins facilement un premier job parmi les diplômés à bac+5. Et, pour l’instant, c’est l’embouteillage. « Les débutants peinent souvent à trouver une première collaboration. La conjoncture n’est pas bonne et les cabinets hésitent à recruter », explique Emilie Chandler, présidente de la Fédération nationale des Unions de Jeunes Avocats.
Mais cette moyenne recouvre des situations très différentes selon les domaines. Ceux qui se spécialisent sur des sujets d’une grande technicité intéressant les entreprises trouvent encore à s’employer dans des conditions satisfaisantes. Notamment dans les gros cabinets. Lucie Bocel, 26 ans, n’a ainsi mis que trois semaines pour décrocher un poste de collaboratrice dans le cabinet parisien d’avocats Latournerie Wolfrom Associés. Une place en or pour cette experte en fusions-acquisitions, passée, il est vrai, par l’un des masters les plus réputés sur le marché : le « 214 » de Paris-Dauphine, spécialisé en droit des affaires.
Et ce n’est pas le seul filon. Les entreprises sont en quête de spécialistes du droit de l’e-commerce, de la propriété intellectuelle et de tous les enjeux liés au développement des nouvelles technologies, car elles ont à faire face aux demandes et aux actions à leur encontre de consommateurs de plus en plus aguerris.
Les restructurations profitent aux experts en droit social, selon le cabinet Hays, mais aussi en droit de l’environnement. Car les entreprises sont soumises à de nouvelles contraintes réglementaires : la norme ISO 14001 de système de management environnemental leur impose ainsi de veiller au respect de la réglementation en vigueur.
Autres niches porteuses, le droit des contrats appliqué aux secteurs de l’informatique ou de l’énergie, de la propriété intellectuelle dans la pharmacie, de la concurrence à l’échelle européenne. Les diplômes visant une compétence binationale en droit, franco-allemande, franco-espagnole, etc., sont également recherchés. Une bonne maîtrise de l’anglais est indispensable, avec si possible une partie du parcours, un stage – voire, nec plus ultra, un master en droit (LLM) – en pays anglophone. Autre carte à jouer, la double compétence : certains instituts d’administration des entreprises (IAE) et écoles de commerce proposent des masters en droit avec une forte tonalité « business ». Comme HEC, qui a monté un diplôme ad hoc : « On fait sortir nos étudiants de leur tour d’ivoire pour les plonger dans la réalité du monde des affaires, les former par exemple aux techniques de négociation », explique Alberto Alemanno, directeur scientifique du master droit et management international.
Côté droit pénal, les jeunes avocats se battent pour dénicher des clients et doivent composer avec leur vocation de départ. Comme Yasmina Garat, 26 ans et titulaire d’un master 2 droit des
À NOTER, UNE IMPORTANTE VAGUE DE RECRUTEMENTS DE MAGISTRATS POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DES TRIBUNAUX.
personnes et de la famille obtenu à Toulouse, elle rêvait ainsi de la robe depuis toujours. Aujourd’hui collaboratrice dans un cabinet de la Ville rose, elle concède ne pas faire « que du pénal », comme elle se l’imaginait étudiante, mais sans aucun regret : « Nous faisons du droit civil, commercial... et je dois avouer que j’aime beaucoup ça. Je traite des affaires familiales, en passant par les problèmes de dettes, de successions, de baux, de contrats. Aucune journée ne ressemble à une autre, c’est passionnant ! » Il y a aussi les juristes en entreprise, « un métier qui représente en fait l’essentiel des débouchés », rappelle Séverine Blum, du cabinet de recrutement Hays. « C’est un poste central qui permet d’avoir une vue d’ensemble, de s’intéresser à toutes les activités d’une société et à leurs implications juridiques », explique Pierre Leguy, 28 ans, juriste chez Accor.
A noter, enfin, une importante vague de recrutements de magistrats pour répondre aux besoins des tribunaux et de nouvelles possibilités liées à la loi Macron qui facilite l’installation des jeunes notaires. 1 002 nouveaux offices ont été créés, ils sont accessibles aux candidats qui ont complété leur master 1 par une formation spécialisée délivrée par les universités ou la profession.