L'Obs

Drôle de campagne

- Par MATTHIEU CROISSANDE­AU

Dans deux mois – deux petits mois –, les Français auront à se prononcer sur le choix de leur futur président de la République et donc sur la politique qui sera menée pendant cinq ans. Mais quelque chose ne tourne pas rond. Depuis plusieurs semaines, on débat moins des solutions aux problèmes de la France que des épiphénomè­nes de la campagne. On ne s’affronte pas bloc contre bloc, ni même personnali­té contre personnali­té. Les Français n’ont pas à choisir entre Sarkozy et Royal comme en 2007, entre Sarkozy et Hollande comme en 2012, ni même entre la gauche et la droite! L’offre politique proposée aux électeurs est à la fois morcelée et disparate. C’est l’heure de la grande confusion.

Sur un échiquier politique devenu méconnaiss­able, les Français jouent leur partie sans grande conviction. Certes, les primaires ont attiré des électeurs. Certes, les émissions politiques continuent de rassembler des téléspecta­teurs. Mais jamais le rejet de la politique en général ne s’est autant manifesté sur tout le territoire. Il suffit de lire, semaine après semaine, les reportages de nos journalist­es sur la campagne pour appréhende­r partout ce mélange de colère et de déception. Les Français se sont lassés des promesses des candidats et de l’absence de résultat des gouvernant­s. Nombre d’entre eux ont grossi les rangs du parti du « Praf » (littéralem­ent « plus rien à foutre »), comme l’analyse le politologu­e Brice Teinturier dans un récent essai lucide et inquiétant.

Plus surprenant encore: pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, la question principale n’est plus de savoir qui sera président, mais qui gouvernera et surtout comment. Auparavant tout était simple, la victoire à la présidenti­elle entraînait de facto une victoire aux législativ­es qui dessinait une majorité, bon an mal an. Aujourd’hui, tout se complique, car aucun des prétendant­s à l’Elysée n’est en mesure de promettre à ses électeurs qu’il pourra gouverner, tout simplement. Marine Le Pen, la grande favorite du premier tour, pourrait sur le papier se faire élire au second. Mais il y a gros à parier que les candidats du FN au Palais-Bourbon se fracassera­ient dans leurs circonscri­ptions, conduisant leur cheftaine à une improbable cohabitati­on. S’il était élu, Emmanuel Macron devrait fédérer derrière lui non plus des « marcheurs » mais des candidats. En trouverait-il assez? Et sur quelle ligne? Les socialiste­s qui le regardent aujourd’hui médusés se résoudraie­nt-ils à le rejoindre en abandonnan­t la vieille maison? Ses soutiens de droite s’y reconnaîtr­aient-ils et voteraient-ils sans tergiverse­r avec leurs anciens collègues de l’autre camp ?

Pour François Fillon, l’équation est un peu différente, mais elle aboutit à la même conclusion. Le candidat des Républicai­ns pourrait sans doute espérer une majorité parlementa­ire, même courte. Mais le scandale qui a percuté sa campagne le rendrait impuissant, incapable de faire passer ses réformes sacrificie­lles dans l’opinion. Quant à Benoît Hamon… on voit d’ici les plus sociaux-démocrates et les plus réformiste­s des socialiste­s lui rendre la monnaie de sa pièce en menant une fronde à l’envers qui paralysera­it à coup sûr ses ambitions. Le seul immunisé contre l’absence de majorité serait sans doute Jean-Luc Mélenchon qui a promis, lui, de contourner l’obstacle en convoquant une Assemblée constituan­te pour changer les institutio­ns… C’est dire l’ampleur du problème qui nous attend !

“LA QUESTION N’EST PLUS DE SAVOIR QUI SERA PRÉSIDENT, MAIS QUI GOUVERNERA ET SURTOUT COMMENT.”

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