Une biographie de Guy Hocquenghem
Journaliste, écrivain, militant homosexuel, Guy Hocquenghem fut une figure de la gauche contestataire des années 1970. Une biographie raconte ce destin hors du commun, au croisement de la politique, de la culture et de la sexualité
A vant d’ouvrir ce livre, on ne savait pas grand-chose de Guy Hocquenghem. Soixante-huitard, membre du FHAR (le Front homosexuel d’Action révolutionnaire), journaliste à « Libération », auteur de la fameuse « Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary », mort du sida à la fin des années 1980. Guère plus. En le refermant, c’est une époque qu’on a visitée, et un homme qu’on a vu la traverser.
Antoine Idier, auteur de cette biographie passionnante, a voulu, « à travers la trajectoire d’un homme, écrire l’histoire d’une époque » : les engagements révolutionnaires, Mai-68, le situationnisme, la vie en communauté, la libération sexuelle, les débuts de la crise économique, la nostalgie d’une révolution qui n’a pas eu lieu, l’élection de François Mitterrand, le sida et ses morts. Guy Hocquenghem en a été l’un des acteurs les plus flamboyants, parce qu’il a tout vécu, presque tout réfléchi et surtout parce qu’il n’a cessé de contester les pouvoirs établis, même dans son camp. Comme dans cette « Lettre ouverte », publiée en 1986, dans laquelle Hocquenghem dresse le portait cruel de sa génération. Une génération, qui ne s’est pas seulement trahie en épousant les codes et les valeurs d’une bourgeoisie qu’elle voulait détruire, mais qui s’est surtout accomplie dans le repentir des jeunes élans : Pascal Bruckner, Bernard-Henri Lévy ou Alain Finkielkraut… Hocquenghem ne les rate pas.
Mais, au-delà du récit d’une vie, Antoine Idier, en bon sociologue, veut raconter un « problème » : « la forme d’une politique hérétique, libertaire et radicale qui prend appui sur une sexualité et une subjectivité minoritaires ». C’est le coeur du livre : raconter comment un jeune bourgeois de l’après-guerre, semblable à tant d’autres, a pris une voie singulière, plus critique, plus sinueuse aussi. Pour le comprendre, l’homosexualité est centrale, à la fois comme expérience vécue et comme catégorie interrogée par Hocquenghem sous toutes ses facettes : face à la politique, face au féminisme, à la médecine, à la psychanalyse, à la loi, à la famille…
Hocquenghem, qui fut l’un des premiers à faire part publiquement de sa sexualité dans un article du « Nouvel Observateur » en 1972, tourne continûment autour d’une question vertigineuse : qu’est-ce qu’être homosexuel ? Il l’aborde différemment selon son lieu d’expression, essais philosophiques ou romans, revues militantes ou articles de presse. Quitte à changer d’avis avec le temps, quitte aussi à ne pas toujours agir comme on aurait pu l’attendre. « Pourquoi, à propos du sida, Hocquenghem n’a-t-il pas pris la parole à la première personne comme il l’avait fait pour l’homosexualité? », demande Antoine Idier.
Le sociologue restitue bien la période et ses débats sur la pédophilie, le viol, la figure de l’Arabe, la Nouvelle Droite, avec leur violence un peu théâtrale, où l’on peut s’insulter tout en se respectant, mais aussi avec leur richesse intellectuelle. C’était un temps où une même cause pouvait rassembler Sartre, Beauvoir, Foucault, Deleuze, Derrida au milieu d’un cortège de figures plus pittoresques, plus marginales, moins identifiées. Hocquenghem passait des uns aux autres avec un mélange de morgue, de grâce et de solitude.
Pour compléter la lecture de cette biographie, on pourra lire avec bonheur un recueil d’articles de Guy Hocquenghem qui vient d’être publié par les éditions Verticales. « Un journal de rêve. Articles de presse (1970-1987) » offre la preuve d’un style, d’une acuité du regard et d’une force politique qui nous éclairent encore aujourd’hui. Ainsi, dans « Libération » le 9 janvier 1979, à propos d’un documentaire sur l’assassinat de Kennedy diffusé le soir même à la télévision, Hocquenghem écrit : « C’est là la grande différence entre les énigmes historiques du passé et le drame de Dallas : les questions ne restent pas sans réponses, elles en ont trop. Surinformation : à une époque où l’événement historique est enregistré, télévisé, filmé par des dizaines de caméras anonymes, la réalité de l’énigme se dissout en une pluie d’incidents, en une multiplicité éclatée. » On se dit alors que Guy Hocquenghem nous aurait été bien utile aujourd’hui.