Penser la terreur
Ecrit pendant et après les attentats contre “Charlie” et l’Hyper Cacher, le livre de Yann Moix oppose la réflexion à la barbarie, et Péguy à Coulibaly
La vague de terrorisme islamiste qui déferle sur le monde nous laisse à la fois muets de sidération et bavards. On ne compte plus les livres dûs à des spécialistes des religions, de sociologie, de géopolitique. Comme il l’explique dans sa préface, Yann Moix, lui, n’a « d’autre spécialité que de vouloir rester en vie », et sa vie est celle d’un écrivain. A son tour, il gravit donc cette montagne : comment penser la terreur ? A l’instar du La Rochefoucauld des « Maximes » ou du Valéry des « Cahiers », il emprunte le genre du fragment, ce bout à bout de petits paragraphes qui, rassemblés en chapitres thématiques, tentent de cerner ce sujet vertigineux. Pourquoi ce livre a-t-il un tel succès ? Le fameux « e et télé » n’y est pas pour rien. Les lecteurs ont plaisir à retrouver à l’écrit les qualités qu’ils aiment chez le chroniqueur des samedis soir de Ruquier : l’originalité d’une réflexion sans a priori, jamais sectaire ; le sens de la formule (« l’Etat islamique est d’abord un état mental », « le terroriste veut réussir sa mort pour n’avoir plus jamais à ne pas réussir sa vie »); l’étendue d’une culture éclectique qui va de Péguy à André Suarès en passant par Maurice Yvain et ses opérettes, et ne sert jamais d’étalage mais d’appui. Voyez le brio avec lequel il utilise la fameuse scène des comédiens de « Hamlet ». Dans la pièce de Shakespeare, le héros demande à des acteurs de jouer un meurtre devant l’assassin de son père dans l’espoir que la fiction fera éclater le réel. Les assassins islamistes du siècle procèdent à l’inverse : avec leurs vidéos de décapitation mises en scène selon les codes des jeux vidéo, ils tentent d’habiller l’horreur du réel avec l’apparence de la fiction.
Le livre vaut aussi pour la justesse et la sincérité de son point de vue. Yann Moix ne se pose jamais en expert, son regard n’est pas en surplomb, ses interrogations partent de prémisses inattendues mais simples. C’est le livre d’un citoyen, aussi e aré, aussi apeuré que nous, et qui oppose aux barbares la seule arme qu’ils ne possèdent pas : la réflexion.