Eli Lotar, maître des images
ELI LOTAR (1905-1969), JUSQU’AU 28 MAI, JEU DE PAUME, PARIS-8E.
Que serait l’histoire de la photographie du xx siècle sans tous ses pionniers nés en Europe centrale ? Parmi eux : les Hongrois André Kertész, Laszlo MoholyNagy, Robert Capa, Brassaï, les Tchèques Josef Sudek, Josef Koudelka (de nationalité française depuis 1987). Dans cet aréopage, le nom d’Eli Lotar (1905-1969) brille d’un éclat singulier. Né à Paris d’un père roumain et d’une mère bulgare, il passe son enfance et son adolescence à Bucarest. En 1924, il retrouve Paris, où il fait la connaissance de Germaine Krull, photographe allemande qui allait devenir sa compagne. Lotar ne fait rien comme tout le monde. Même s’il est influencé à ses débuts par la Nouvelle Vision (dont Germaine Krull est l’une des figures de proue), même s’il côtoie les avant-gardes (comme le groupe surréaliste), Lotar n’en creuse pas moins son propre sillon. Piéton de Paris, il oscille entre réalisme – ainsi sa série sur les abattoirs de la Villette – et un onirisme qui, par le biais du photomontage, lui fait imaginer dans les années 1920 le décor futuriste des Champs-Elysées et de Montmartre en l’an 2000. Le style de Lotar s’adapte aux lieux et aux sujets : en Grèce, il photographie des pièces archéologiques en s’attachant à valoriser, sans le moindre artifice, la puissance de leurs volumes. Mais quand il se trouve sur le quai d’un port, il n’hésite pas à grimper en haut d’un mât pour obtenir un cliché où vergues et cordages dessinent une géométrie complexe.
La photographie documentaire a été également l’un des piliers de la pratique de Lotar. Celle-ci va d’ailleurs le rapprocher du cinéma. En 1932, il est opérateur sur le tournage de « Terre sans pain » de Buñuel, film dépeignant la misère des habitants de la région des Hurdes, en Espagne. Lotar passe à son tour derrière la caméra en 1945 pour réaliser « Aubervilliers », court-métrage d’une vingtaine de minutes que l’on pourra redécouvrir ici. Jacques Prévert signe le commentaire et les chansons de cette plongée dans la misère ouvrière. Lotar a donc été véritablement un homme d’images et cette exposition rend un hommage pertinent à son parcours. Dans la dernière salle, on assiste à un ultime dialogue : au début des années 1960, Lotar photographia Giacometti et ce dernier sculpta Lotar. On jugera ce « duel » sur pièces, entre sculpture et photo. Entre silence et magie.