L'Obs

L’économie des amphis

Facs, IEP ou IAE proposent des formations de qualité appréciées par les employeurs. Avec un atout maître: des frais d’inscriptio­n au plus bas

- Par SOPHIE NOUCHER

Longtemps, certains recruteurs prestigieu­x l’ont snobée. Mais, aujourd’hui, la fac est dans leur viseur : « Un quart des débutants que nous embauchons vient de l’université », confirme ainsi Olivia de Faÿ, directrice du recrutemen­t du cabinet d’audit et de conseil Mazars. ParisDauph­ine mais aussi Paris-I-PanthéonSo­rbonne, Lyon-III, Paris-Est ou la Toulouse School of Economics sont des viviers de candidats pour les recruteurs. Elles offrent à leurs étudiants un rapport qualité-prix imbattable. Seule exception : Dauphine, où les droits de scolarité dépendent des revenus des parents et peuvent monter jusqu’à 6 000 euros. Mais Dauphine est une marque, qui sélectionn­e ses étudiants sur dossier dès la première année. Certains de ses masters sont si réputés que les recruteurs les identifien­t par des codes, comme le « 203 » pour le cursus marchés financiers. Thomas Lifert, 26 ans, chef de production marketing opérationn­el pour le groupe M6, s’est retrouvé à Dauphine un peu par hasard, après un bac S en lycée classé ZEP. Il avait un excellent dossier et a eu son bac avec mention. Il est aujourd’hui diplômé du master marketing, le « 204 ». « Je ne savais pas ce que je voulais faire. J’ai compris que j’aimais le marketing et la production audiovisue­lle grâce aux cours, aux stages et à la vie associativ­e étudiante, qui est très riche à Dauphine. J’ai réalisé des films sur des marques pour la chaîne de l’université. Je me souviens d’un parcours exigeant mais sans pression, avec une offre très riche de masters, et aussi des expérience­s en tout genre: dans le sport, les nouvelles technologi­es… »

Pour repérer les meilleurs programmes, il faut identifier les spécialité­s porteuses (l’audit et le contrôle de conformité, la finance et le droit des affaires, l’analyse de données en marketing, la communicat­ion des entreprise­s, les rémunérati­ons et avantages sociaux en RH…), mais aussi les points forts de chaque fac : les masters en communicat­ion du Celsa (Paris-IV) sont très cotés, comme ceux du Ciffop (Paris-II) en ce qui concerne les ressources humaines, ou encore ceux de l’université de Caen pour le droit des affaires. Les meilleures facs sont adossées à des labos qui leur assurent des formations à la pointe de la recherche. Il faut ensuite s’attacher aux indices de qualité tels que la durée des périodes de stage, les partenaria­ts avec des fédération­s profession­nelles, la possibilit­é d’une alternance ou le dynamisme d’une associatio­n d’anciens.

Ne pas croire cependant qu’il est aisé d’y être admis. Les université­s sélectionn­ent désormais officielle­ment dès l’entrée en M1 et savent se montrer exigeantes. Exemple à Paris-Nanterre: le master affaires internatio­nales et négociatio­n intercultu­relle reçoit 250 dossiers pour 25 places. Ou encore à Cergy-Pontoise, où le master contrôle de gestion et système d’informatio­n ne propose que 35 places pour 200 candidats. Avec de tels ratios, les université­s ont instauré différente­s modalités de sélection : selon les facs, en plus de l’étude des dossiers, il peut y avoir des épreuves écrites, des tests de langue et, souvent, des oraux. « Après un premier tri sur dossier, lors duquel je m’attache évidemment aux résultats académique­s du candidat, je demande une lettre de motivation et je complète le tout par un entretien en anglais devant un jury », précise Elisabeth Teboul, responsabl­e du master contrôle de gestion de Cergy. Cet entretien est l’occasion de montrer sa motivation et la cohérence de son parcours, construit par le choix des options et les différents stages. Ne pas hésiter donc à multiplier ces derniers, en France comme à l’étranger.

Identifiés comme les « écoles de commerce de la fac », les IAE (institut d’administra­tion des entreprise­s) proposent des licences et masters en gestion, comptabili­té, marketing ou ressources humaines. Certains de leurs diplômes sont très prisés. Le « Financial Times » a ainsi classé le master en management de l’IAE d’Aix 10e mondial pour le ratio coût-salaire (les diplômés débutent à 40 000 euros brut

annuels). Chaque établissem­ent a sa spécialité: Nice et la communicat­ion, Grenoble et le marketing… Et les diplômés de tous horizons sont bienvenus : à Aix, pour la spécialité CCA (contrôle de conformité audit), on recherche des diplômés en droit ou en sciences. Pour y entrer, un bon niveau d’anglais est exigé et validé par un test. Des épreuves de logique (par le biais du score IAE Message par exemple) sont aussi au programme. Rien d’insurmonta­ble: avec quelques semaines ou quelques mois de bachotage, il est possible d’atteindre un bon niveau.

Autre adresse intéressan­te: SciencesPo. A l’instar des IAE, les IEP (Institut d’Etudes politiques) jouent le rôle d’ascenseur social. Sciences-Po Paris a même été précurseur en ouvrant sa première année aux lycéens des ZEP il y a environ dix ans. Bien moins onéreux que les écoles de commerce – les droits d’entrée sont modulés: de la gratuité pour les boursiers à 4 000 euros au maximum, sauf pour Bordeaux et Paris, qui monte jusqu’à 14 000 euros selon les ressources –, ils forment des jeunes capables de s’adapter à des environnem­ents très di érents. « Le diplômé de Sciences-Po a une souplesse d’esprit chère aux recruteurs, confirme Julien Weyrich, directeur chez Page Personnel, un leader du recrutemen­t en intérim. D’une certaine manière, on achète un potentiel en recrutant ce type de diplômés. » On trouve ainsi des anciens aux parcours étonnants. Ludovic Craïssac, 24 ans et diplômé de Toulouse, a créé sa boîte, une entreprise de conseil à l’usage des réseaux sociaux, après avoir hésité entre le service public en France et les institutio­ns européenne­s! Issu d’un milieu modeste, il est le parfait exemple de ce que permet un IEP. « Je viens d’une famille d’agriculteu­rs dans le Tarn-et-Garonne, confie-t-il, et je voulais m’ouvrir au monde. Je retiens de ces cinq années des enseigneme­nts d’une richesse et d’une variété incroyable­s. »

Attention cependant, les IEP sont sélectifs: à Paris, la quasi-totalité des reçus ont eu une mention bien ou très bien au bac, et pour les autres IEP, la proportion est très élevée. Un concours commun existe pour sept IEP en province. Il permet d’entrer en première année, mais une admission après un an de fac est aussi possible, directemen­t en deuxième année. Partout les épreuves se ressemblen­t, et elles débutent souvent par une « question d’actualité ». Cela entre l’examen du dossier et l’oral final. On peut commencer à se préparer « dès la classe

de première, en y allant doucement malgré tout, estime Renaud Payre, directeur de Sciences-Po Lyon. Il faut se mettre progressiv­ement dans une logique de concours, avoir une bonne capacité de rédaction, savoir structurer des idées et se distinguer en langue. » « La meilleure façon de se préparer, c’est de développer sa curiosité », complète Yves Déloye, de l’IEP de Bordeaux, qui conseille de dévorer journaux, essais et grands classiques.

Les salaires à l’embauche varient beaucoup d’un métier à l’autre. Les filières communicat­ion débouchent sur nombre de jobs payés au lance-pierre, contrairem­ent aux sections « éco-fi » (économie et finances). « Leurs diplômés trouvent très vite un emploi à la sortie, explique Gabriel Eckert, directeur de Sciences-Po Strasbourg. Les autres mettent un peu plus de temps et doivent souvent passer par des contrats précaires avant de décrocher un CDI, mais c’est en général assumé et connu de nos étudiants, qui placent l’épanouisse­ment profession­nel au moins aussi haut, voire plus haut que le niveau de salaire. » Sciences-Po Paris est un sérieux concurrent du gratin des écoles de commerce, ses diplômés leur disputent les meilleurs postes.

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L’IEP de Paris établit une sélection draconienn­e à l’entrée.
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L’IAE de Clermont-Ferrand est spécialisé dans le management.
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