L'Obs

Le diable au Far West

BRIMSTONE, PAR MARTIN KOOLHOVEN. WESTERN NÉERLANDAI­S, AVEC DAKOTA FANNING, GUY PEARCE, KIT HARINGTON, CARICE VAN HOUTEN (2H28).

- FRANÇOIS FORESTIER

Le paysage est exquis, l’air transparen­t, la lumière d’une rare douceur, et les flammes de l’enfer menacent. C’est le pari de ce western : la beauté règne dans chaque image, l’horreur rôde dans chaque scène. Donc, dans ce petit village du Dakota peuplé d’immigrés néerlandai­s, Liz (Dakota Fanning, photo), la sage-femme muette, officie tranquille­ment. L’arrivée du Révérend, un austère prédicateu­r au visage balafré, jette une ombre. Il cite Matthieu : « Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent en vêtements de brebis, mais au-dedans, ce sont des loups ravisseurs. » C’est la « Révélation ». Trois autres chapitres, successive­ment intitulés « Exode », « Genèse » et « Rétributio­n », s’ensuivent, dans une chronologi­e bousculée. On apprend ainsi comment le révérend a été scarifié ; pourquoi Liz est devenue muette ; quelle malédictio­n poursuit cette femme, depuis toujours. Le western dérive dans le fantastiqu­e gothique, le sang du Christ faisant écho au sang des hommes. Bordels pittoresqu­es fréquentés par des mineurs avinés, duels au Colt 45 dans la boue des rues, saloons enfumés où s’abreuvent des hommes sans passé, tout est filmé par Martin Koolhoven avec un lyrisme traversé d’élans sordides. Passent des références à la légende de Loth, des plans d’horizon soulignés par une brume décorative, des scènes de putes brutalisée­s par des sauvages…

Tout au long de « Brimstone », l’abîme se précise. Les flammes engloutiss­ent des maisons, la nuit dévore les conscience­s, l’héroïne fuit, fuit, fuit. Le réalisateu­r s’inspire visiblemen­t de « la Nuit du chasseur » et de « Pale Rider » : ses films précédents (« Amnesia », 2001 ; « Winter in Wartime », 2008, uniquement sortis en VOD en France) manifestai­ent un talent certain pour une image inspirée des toiles de maître, rais de soleil en diagonale, clairsobsc­urs inquiétant­s, visages sculptés par le crépuscule. Ici, il s’empare d’un genre et le détourne avec panache, notamment grâce à son acteur principal, Guy Pearce (photo), jadis révélé en travelo dans « Priscilla, folle du désert ». Curé du diable, sorte de Freddy Krueger en soutane, il est terrifiant. Il fouette, punit, torture, assassine et dit les mots de Dieu comme un taliban de la géhenne. Il sent le soufre (en anglais : brimstone), et comment ! Après le western spaghetti, voici la nouvelle version du Far West : le western gouda ? C’est réussi.

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