L'Obs

ONFRAY L’IMPRÉCATEU­R

LA TENTATION COMPLOTIST­E LES INTELLECTU­ELS ANTI MACRON

- Propos recueillis par FRANÇOIS ARMANET, MATTHIEU ARON et SYLVAIN COURAGE

Dans « la Cour des miracles » (1), Michel Onfray, le philosophe, endosse le costume du chroniqueu­r politique. Il nous livre son journal de campagne écrit au jour le jour, le temps de la présidenti­elle. Un recueil de 80 billets souvent ironiques, parfois outrancier­s et d’une mauvaise foi totalement assumée. C’est peu de dire que cet ouvrage, certes rédigé avec brio, dérange. Non pas parce que Michel Onfray y développe une thèse pour le moins radicale mais parce qu’il peine à la démontrer. La dernière course à l’Elysée, nous dit-il, n’a été qu’un « simulacre de démocratie », une mascarade, une vulgaire « palinodie ». Qu’importe les multiples rebondisse­ments qui ont donné un tour inédit à cette élection, puisque, martèle-t-il encore, « tout » était prévu d’avance. Le philosophe affirme qu’il connaissai­t la fin de l’histoire, avant même son dénouement. Cette bataille ne pouvait, selon lui, aboutir qu’à la désignatio­n d’un pion de l’« Etat maastricht­ien », Emmanuel Macron. Conclusion : les électeurs ont été manipulés par un « dispositif » – c’est le terme qu’il emploie – au service du grand capital et avec la complicité de médias serviles. Michel Onfray a bien entendu parfaiteme­nt le droit de défendre une thèse. C’est le privilège des intellectu­els. Comme il est tout aussi légitime de le questionne­r, et de pointer ses nombreuses contradict­ions. Un penseur ne doit pas s’exonérer des faits, surtout quand il est, comme Michel Onfray, régulièrem­ent reçu dans les radios et sur les plateaux de télévision, auteur de nombreux best-sellers, et qu’il exerce une influence notable auprès d’un large public. En soutenant qu’il est inutile d’aller voter, puisque tout est déjà joué, Onfray prend le risque de céder aux sirènes si commodes du complotism­e, et de nourrir le conspirati­onnisme ambiant, même s’il s’en défend vertement dans la grande interview qu’il nous a accordée.

« La Cour des miracles, carnet de campagne », Editions de l’Observatoi­re, juin 2017.

Le temps de la campagne présidenti­elle, vous vous êtes transformé en chroniqueu­r politique, qu’est-ce qui vous a tenté dans cet exercice?

Au jour le jour, j’ai rédigé des textes courts. J’ai observé par le petit bout de la lorgnette, un peu dans l’esprit de Roland Barthes. Je pars d’un détail – comme la marinière de Montebourg ou les recettes de cuisine de Mélenchon – pour cerner peu à peu l’essentiel des personnage­s. C’est très voltairien comme approche. A la manière aussi de Chamfort, de Vauvenargu­es, de La Rochefouca­uld, les moralistes français…

Dans l’esprit des moralistes, certes, mais sur le mode de la satire, de la moquerie… En n’hésitant pas à être de mauvaise foi.

L’ironie, la cruauté, la mauvaise foi, c’est tout ce qui nous reste, car les politiques nous ont tout pris! Moi, je tiens en haute estime la démocratie, c’est un jeu sérieux. Eux (les politiques), j’en suis moins certain. En 2005, la majorité des Français a voté, comme moi, contre le traité de Constituti­on européenne, et on nous a dit : eh bien ce traité, vous l’aurez quand même! Il y a eu un vrai déni de démocratie dans cette aventure. Une espèce de coup d’Etat. D’un côté, on dénonce le danger du fascisme. Mais de l’autre, on vous fait manger ce que vous n’avez pas envie d’avaler. Et allez hop, on vous impose le traité de Lisbonne. C’est le système qui produit cela.

Un système, c’est vague, de quoi parlez-vous précisémen­t?

Je considère que durant les élections, tout a été fait pour qu’au second tour le candidat qui se retrouve face à Marine Le Pen soit forcément un politique libéral, et que de cette façon il soit mécaniquem­ent élu. C’est cela, le système. C’est ma thèse.

On va y revenir, mais à l’appui de votre thèse, il y a les personnali­tés politiques que vous décrivez. Vous vous livrez à un jeu de massacre. Benoît Hamon par exemple, sous votre plume, c’est le roi crétin, un piège à con, et même un fasciste de gauche. Vous êtes sérieux?

Là, vous sortez une anecdote de son contexte…

C’est pourtant ce que vous écrivez.

Oui, mais j’explique pourquoi. Quand Benoît Hamon nous fait savoir qu’il existe des cafés où les femmes ne peuvent pas aller – des endroits où elles sont interdites parce qu’elles sont femmes – et que cela ne pose pas de problème car il y a quelques années la classe ouvrière faisait de même, eh bien oui, je dis, il y a des fascismes de droite, mais il y a aussi des fascismes de gauche ! Est-ce qu’on a le droit de dire à une femme qu’elle n’a rien à faire dans un café parce que ça se passe comme ça au bled ? Apparemmen­t oui, puisque Benoît Hamon nous dit que cela n’a rien à voir avec l’islam et que cela repose sur une tradition.

Tout aussi choquant, il y a la manière dont vous évoquez le président de la République, puisque vous affublez François Hollande du surnom de Sphincter Ier.

Et alors ?

Réduire la personne du président de la République, ou de quiconque d’ailleurs, à un sphincter… Cette comparaiso­n a-t-elle réellement du sens?

Je dis, voilà un personnage qui dans ses rapports avec les journalist­es se lâche, ne se retient pas, se répand partout… Je n’invente rien. Depuis « les Deux Corps du roi », d’Ernst Kantorowic­z, Hollande devrait savoir qu’un président ne s’appartient pas, qu’il n’est plus propriétai­re de son propre corps. Il devrait avoir le sens du symbole. On ne confie pas des secrets d’Etat à des journalist­es en mangeant du saucisson et en regardant la télévision.

Mélenchon, lui, vous le surnommez Robespierr­e le Petit.

Parce qu’il ne cesse de faire l’éloge de Robespierr­e, comme il ne cesse de défendre des personnage­s peu recommanda­bles, Fidel Castro, Hugo Chávez, ou Ahmadineja­d qui à l’époque voulait rayer Israël de la carte.

Et pourquoi « le Petit »?

Car il n’est pas à la hauteur. C’est quelqu’un qui a voté oui à Maastricht, quelqu’un qui n’a pas trouvé gênant d’accompagne­r la mue du Parti socialiste vers le libéralism­e, et quelqu’un qui a été un sénateur socialiste, pas très assidu d’ailleurs en séance. Il n’a pas montré beaucoup de grandeur. J’ai eu de la sympathie pour lui à l’époque où il était encore invisible. Il y avait alors une forme de modestie chez lui. Et puis il s’est transformé quand il est devenu candidat à la présidenti­elle.

Et que pensez-vous de son attitude entre les deux tours, de son refus d’appeler à voter Macron?

Moi, de toute façon je ne vote plus. Je pense qu’il y a une rupture de confiance entre les politiques et le peuple. Le jour où les élections auront de nouveau du sens, j’y retournera­i. Mais je refuse de me prêter à un jeu faussé. Mélenchon, c’est différent, il est dans une logique électorale. Aussi n’ai-je pas compris son refus de dire pour qui il allait voter au second tour. Sa position est incohérent­e.

A vous lire, on a le sentiment que cette élection était jouée d’avance?

Exact, le dispositif a bien fonctionné.

De quel dispositif parlez-vous?

C’est un système qui fonctionne avec les médias, avec l’édition, avec l’université, avec l’école. C’est ce que Marx appelait l’idéologie. L’idéologie impose un dispositif qui nous contraint à un non-choix. Nous devons opter soit pour le cercle de raison, le libéralism­e, soit pour la déraison, le fascisme. C’est un piège. Moi, je suis souveraini­ste, je l’assume. Mais aujourd’hui, le terme « souveraini­ste » est devenu une insulte. Pourtant, je vous rappelle que l’inverse du souverain, c’est le vassal. Mais il y a des gens qui préfèrent la vassalisat­ion de la France vis-à-vis de l’Europe, il s’agit de la droite libérale et de la gauche libérale réunies autour de Macron. C’est leur choix, mais je trouve cela sidérant. Est-ce qu’on a le droit de défendre une position souveraine, comme les Américains, comme les Japonais, sans passer pour des fascistes, sans passer pour des gens qui font le jeu du Front national? A l’évidence, non, puisque, comme par hasard, le dispositif présente tous les candidats non libéraux comme peu crédibles. Soit ils sont infréquent­ables, soit ce sont des petits candidats vaguement folkloriqu­es. En réalité, on fait tout pour discrédite­r ceux qui critiquent l’Europe de Maastricht.

“JE NE VOTE PLUS. IL Y A UNE RUPTURE DE CONFIANCE ENTRE LES POLITIQUES ET LE PEUPLE.”

Vous dites : « On fait tout pour discrédite­r », mais qui se cache derrière ce « on »?

Les médias bien évidemment ! Regardez, par exemple, le nombre de couverture­s consacrées à Macron, par rapport à Jean Lassalle…

C’est peut-être tout naturellem­ent parce que Macron intéresse un plus grand nombre de lecteurs?

C’est l’histoire de la poule et de l’oeuf. En réalité, les lecteurs s’intéressen­t à ce qu’on leur propose. Et vous savez bien qu’un journal ne suit pas l’opinion, il fait l’opinion ! C’est élémentair­e, non ?

Elémentair­e, non, justement. Plutôt manichéen, mais pour revenir à votre analyse de l’élection, vous considérez que Mélenchon et Le Pen ont été les deux idiots utiles de la campagne.

Oui, ils ont fait la course en tête, mais ils n’étaient que des lièvres, comme dans les courses en athlétisme. Au dernier moment, on leur demande de s’écarter pour laisser passer le vainqueur. Il était évident que Marine Le Pen n’avait aucune possibilit­é de gagner cette élection. Pour faciliter la victoire de Macron, on nous a fait croire qu’elle pouvait devenir présidente de la République. Mais c’était extravagan­t, c’était inconcevab­le. Je n’y ai pas cru une seconde; y aurais-je cru que probableme­nt j’aurais voté contre elle. Arrêtez de nous faire peur avec cette dame qui n’a aucune chance d’accéder au pouvoir.

Si tout le monde faisait comme vous, elle serait peut-être à l’Elysée…

Alors l’argument du « Si tout le monde faisait comme moi », ce n’est pas la première fois qu’on me le sort !

Il n’empêche que…

Je vous rappelle quand même qu’en 2002, quand Jean-Marie Le Pen est arrivé aux portes du pouvoir, j’ai démissionn­é de l’Education nationale, j’ai renoncé à un salaire, et j’ai créé l’Université populaire pour lutter contre les idées du Front national. Beaucoup de gens l’ont oublié.

Certes, mais aujourd’hui Marine Le Pen fait le double des voix de son père. Elle ne vous semble pas plus proche des portes du pouvoir?

Non, parce que pour moi le vrai résultat des élections est du côté des votes blancs, des votes nuls et des votes désespérés, ceux qui se sont portés sur les tout petits candidats. Faites le total de ces voix-là. Il y a une chose qui me semble plus importante que le doublement des voix du Front national, c’est le désespoir citoyen dans lequel se trouvent beaucoup de gens aujourd’hui. Peut-être suis-je un peu la voix de ce désespoir citoyen. Je porte la voix des gens qui ne sont pas dans la haine de la démocratie, qui ne sont pas dans la haine de la République, qui ne sont pas dans la haine du suffrage universel, des gens qui aiment l’Europe, mais pas l’Europe libérale. Il y a une forme de perversion sémantique à laisser croire qu’être contre le libéralism­e, c’est être contre l’Europe. C’est un truc qui a été ficelé de façon extraordin­aire par Mitterrand, de manière à nous faire avaler Maastricht.

Mitterrand se souvenait aussi de la guerre. Il consentait aux abandons de souveraine­té pour éviter le retour du tragique, et des nationalis­mes.

Je ne suis pas d’accord. Si le nationalis­me, c’est la guerre – ce que je ne crois pas –, alors comment qualifiez-vous le nationalis­me européen? On a un drapeau européen, un hymne européen, une Constituti­on européenne. Il y a un nationalis­me européen. Pourquoi serait-il moins dangereux que les autres nationalis­mes ?

En lisant vos chroniques politiques, on a le sentiment que l’histoire était écrite à l’avance, que tout devait concourir à une victoire de Macron. Et notamment, il fallait que Hamon soit désigné pour perdre…

C’est un fait. Il y a eu un bourrage des urnes le soir du premier tour de la primaire de la gauche. Le décompte des voix s’est interrompu pendant la nuit. Et le lendemain matin, 300 000 voix, venues d’on ne sait où, ont été rajoutées… Pourquoi personne n’a bougé ? Dans toute démocratie qui se respecte, on invalide l’élection dans un tel cas. Et là, rien. J’en conclus qu’il fallait donc qu’Hamon l’emporte à tout prix pour satisfaire les intérêts de certains au Parti socialiste…

Vous avez les preuves de cette tricherie? Qui a bourré les urnes?

Je donne le nom du responsabl­e dans le livre : Christophe Borgel (1). Ce monsieur qui a organisé le vote de la primaire était déjà impliqué dans le bourrage des urnes du congrès de Reims, en 2008, qui avait abouti à la désignatio­n de Martine Aubry plutôt que de Ségolène Royal comme première secrétaire du PS. Cet épisode a été raconté en détail dans un livre (2).

Vous soutenez donc que la victoire de Benoît Hamon a pu être le résultat d’une fraude… Mais vous oubliez les raisons politiques : le bilan du gouverneme­nt, l’usure du pouvoir et le « dégagisme ». Avec ou sans bourrage d’urnes (qui reste à prouver), Manuel Valls n’était pas en bonne posture pour l’emporter.

Je ne fais pas de la politique avec des hypothèses. Je constate qu’il y a eu un bourrage d’urnes… Tout le monde s’est excité sur l’histoire des costumes de François Fillon, et c’est bien normal, mais personne ne s’est préoccupé du fait qu’il ait pu y avoir un bourrage d’urnes dans une primaire.

Mais Hamon a écrasé Valls avec un tel écart qu’il est très difficile de suspecter une irrégulari­té massive…

Ah, ça, je n’en sais rien. Je n’ai plus confiance.

Christophe Borgel était un soutien de Manuel Valls. Pourquoi donc l’aurait-il fait perdre?

Je pense que le PS et surtout François Hollande avaient intérêt à ce qu’Hamon l’emporte, plutôt que Valls, pour faciliter la victoire finale de Macron.

Mais vous basculez dans le complotism­e…

C’est devenu une insulte commode. Ou vous partagez la thèse autorisée, ou vous ne la partagez pas et alors vous êtes complotist­e. Je vous rappelle quand même que les complotist­es, dans cette aventure, Christine Boutin en tête, soutiennen­t que Macron fait le signe du double six avec ses doigts, qui est la preuve de son caractère diabolique… Le complotism­e, ça existe, comme l’islamophob­ie. Mais encore faut-il que les mots puissent avoir un sens. Pour ma part, je n’ai jamais pensé qu’il puisse y avoir un complot judéo-maçonnique, ou satanique, ou des Illuminati, ou de la CIA…

Quelle est la différence entre soutenir qu’un « dispositif » a produit la victoire de Macron et imaginer un complot des Illuminati?

Parler d’un complot des Illuminati est un fantasme total. Ce n’est pas du même niveau intellectu­el que la propositio­n que je fais qui consiste à mettre en perspectiv­e des faits qui n’ont pas été pris en compte, comme le bourrage des urnes au PS, dont toute la presse a rendu compte heure par heure.

Si la presse en a parlé, ça veut quand même dire que le « dispositif » a des failles, non? Et surtout, comment, à partir d’un incident dans le décompte des voix de la primaire, pouvez-vous conclure que tout a été fait pour désigner Hamon?

Jean-Pierre Chevènemen­t, lui aussi, considère qu’Hamon a été un candidat choisi pour perdre. Si vous voulez faire de Chevènemen­t un complotist­e, allez-y ! Le mot est pratique pour éviter d’analyser des faits qui sont avérés. Hamon était utile pour évincer Valls, ce qui faisait l’a aire d’Hollande en lui permettant de soutenir Macron.

Si l’on vous suit, François Hollande est l’un des instigateu­rs du dispositif que vous décrivez… C’est même lui qui tirait les ficelles.

Mais bien sûr. S’il y en a un qui ne s’est pas laissé faire, c’est bien François Hollande. Il ne faut pas imaginer que quelqu’un qui a passé sa vie à vouloir devenir chef de l’Etat et qui une fois élu n’avait pour seule envie que de redevenir chef de l’Etat a pu renoncer de gaieté de coeur à se représente­r. On n’arrive pas par hasard à l’Elysée. Hollande a compris que la primaire lui serait fatale. Et il a été contraint de changer ses plans…

Dans vos premières chroniques de la campagne, vous ne croyez pas du tout aux chances de Macron… Cela démontre bien que l’élection n’était pas écrite d’avance…

Cela démontre surtout que j’ai écrit les chroniques au fil des événements et que je n’y ai rien changé, y compris quand je me trompais… Macron, c’est exact, je l’ai vu comme une bulle. Et je me suis demandé quand elle allait éclater.

Ce que vous décrivez, c’est donc une mécanique comportant une grosse part d’incertitud­e…

Bien sûr. C’est pour ça que je ne suis pas complotist­e. Je décris une partie de jeu d’échecs. Les joueurs avancent leurs pièces et se retrouvent dans une configurat­ion qu’ils n’avaient pas prévue, alors ils s’adaptent. La politique, c’est du pragmatism­e. Je ne prétends pas que tout a été décidé lors d’une réunion secrète entre une poignée de comploteur­s qui auraient tout manigancé. Je ne dis pas qu’il y a eu un cerveau et une poignée de conjurés qui auraient arrêté un plan machiavéli­que rendant possible Macron. Je soutiens qu’au fur et à mesure de la campagne, des choix ont été faits pour aboutir à l’élection d’un candidat maastricht­ien. Tout a été fait pour que celui-là gagne, et il a gagné.

Y compris avec les services d’un « pseudo » cabinet noir pour faire tomber Fillon?

Soyons lucides. Les cabinets noirs ont existé sous toutes les présidence­s. Les gouvernant­s doivent pouvoir compter sur des services secrets pour réaliser des opérations discrètes. Les conseiller­s en communicat­ion, les conseiller­s en image et les « conseiller­s

“IL FALLAIT QU’HAMON L’EMPORTE À TOUT PRIX POUR SATISFAIRE LES INTÉRÊTS DE CERTAINS AU PS.”

“LE CAPITAL A INTÉRÊT À AIDER DES GENS DE DROITE QUI SE PRÉSENTENT COMME DE GAUCHE.”

riposte » produisent des arguments pour faire tomber les adversaire­s. C’est le jeu de la politique. Et il n’est pas très propre. Il est certain que quand vous êtes Jean Lassalle, c’est plus difficile de disposer d’informatio­ns sur Asselineau…

Selon vous, le capital a fait élire Macron. Mais n’aurait-il pas dû lui préférer Fillon?

Non, le capital a toujours intérêt à aider des gens de droite qui se présentent comme des hommes de gauche parce que ça dispense les syndicats de descendre dans la rue. Quand un homme qui se dit de gauche fait une réforme de droite, les syndicats se retiennent. Et c’est évidemment préférable pour le capital qui ne veut pas avoir d’ennuis avec la rue.

Vous présentez l’élection comme une mécanique infernale mise au service d’un partisan de l’Europe maastricht­ienne. Ne vous laissez-vous pas aller à une fiction rétrospect­ive consistant à réécrire l’histoire en fonction de sa conclusion?

Ce que j’ai fait dans le dernier chapitre de mon livre ressemble au jeu de mon enfance, dans « Ouest-France ». Il s’agissait de relier des points numérotés pour voir apparaître un dessin. Quand j’ai rédigé ma conclusion, j’ai relié les événements pour proposer une hypothèse qui ait un sens. Si vous me reprochez d’avoir laissé de côté des éléments qui ne servent pas ma thèse, à vous de me dire lesquels…

Les complotist­es demandent toujours d’apporter la preuve que leur thèse alternativ­e est fausse. Or il est impossible de prouver que quelque chose n’est pas arrivé. N’est-ce pas exactement ce que vous faites?

Je n’ai rien à voir avec les délires des complotist­es qui prétendent que les juifs ont inventé les chambres à gaz ou que les attentats du

11-Septembre n’ont pas eu lieu. Non, je ne fais qu’en appeler au débat contradict­oire. Nous vivons une drôle d’époque, dans laquelle proposer une lecture qui va contre l’idéologie dominante, c’est être complotist­e…

Sauf que, dans la réalité, 20 millions d’électeurs ont voté Macron. Ils ont tous été manipulés?

D’abord, Macron a tellement dit de choses contradict­oires que chacun pouvait trouver son compte dans cette aventure. Avec lui, tout le monde peut entendre ce qu’il a envie d’entendre. C’est un processus de séduction extraordin­aire, très étudié, mis au point avec des algorithme­s pour s’adresser à une partie de la population puis à une autre… Ensuite, j’aimerais qu’on fasse la part entre ceux qui ont voté pour Macron et ceux qui ont voté contre Marine Le Pen. Vous avez beaucoup milité, vous-mêmes, pour que les électeurs empêchent la candidate du Front national d’accéder au pouvoir. Et je crois qu’une bonne partie des électeurs qui ont mis un bulletin Macron dans l’urne l’ont fait avec cette motivation… Et c’est bien normal. D’autre part, je ne vois pas pourquoi des investisse­urs rachèterai­ent des journaux qui ne sont pas rentables sinon pour défendre leurs intérêts et ceux des candidats qui les favorisent. Pour faire les frais de la presse, je sais qu’elle ne fonctionne pas à la vérité mais à l’idéologie.

Mais vous connaissez trop bien les médias pour savoir que les actionnair­es ne peuvent pas dicter la ligne des journaux ou des chaînes qu’ils possèdent…

Je ne vous fais pas l’affront de dire que vous êtes des valets du capital. La servitude peut aussi être volontaire. Quand on appartient à un dispositif, il y a des choses que l’on ne dit pas et d’autres que

l’on dit, des gens dont on parle, d’autres dont on ne parle pas, certains dont on parle en bien, d’autres en mal… C’est une affaire de cohérence et pas de complot. Il n’y a pas de raison que le dimanche, en chaire, un prêtre fasse un sermon athée.

Dans votre livre précédent, « Décolonise­r les provinces », vous plaidez pour que le pouvoir soit rendu au peuple. Qu’entendez-vous par le peuple?

C’est l’ensemble de ceux sur lesquels s’exerce le pouvoir et qui n’en exercent pas. C’est la vieille opposition entre patriciens et plébéiens, bourgeois et prolétaire­s. Je crois à la lutte des classes comme moteur de l’histoire. Le peuple, c’est celui de Chambois, dans l’Orne, mon village natal : l’épicier, le boucher, le paysan, le pharmacien, l’instituteu­r, la retraitée, le vieux coiffeur qui est l’un de mes maîtres, qui m’a appris la Résistance et la déportatio­n, tous ceux qui n’ont jamais eu aucun pouvoir sur personne.

Vous décrivez le peuple à l’échelle du village. En ville, il y a aussi beaucoup de gens précaires, de personnes en grande difficulté, d’immigrés. Vous ne les oubliez pas?

Je ne vous dis pas que le peuple n’est qu’à la campagne. Il y a une opposition ville-campagne, mais bien sûr qu’il y a un prolétaria­t dans les villes, et à Paris aussi. Le peuple, ce sont les oubliés. Ils souffrent, ils connaissen­t le chômage, la fatigue, l’oppression, c’est le peuple de « la Misère du monde » de Bourdieu. C’est le tissu vrai de la cité réelle. Ce sont les catégories oubliées dans la représenta­tion nationale : les jeunes, les paysans, les ouvriers, les chômeurs…

« Je suis la voix du désespoir populaire », dites-vous. Pensez-vous pouvoir parler en son nom?

J’ai le plaisir régulier de discuter, de me faire arrêter dans la rue par des gens simples, modestes et qui me disent des choses touchantes. J’ai alors l’impression que je ne parle pas dans le désert.

Vous vous définissez comme un socialiste libertaire. Qu’entendez-vous par là?

Je propose d’en finir avec le modèle jacobin, centralisa­teur et parisien. Tous les candidats à l’élection présidenti­elle ne déviaient pas du modèle jacobin. La Ve République est dans cette logique centralisa­trice avec un Etat parisien qui fonctionne en récupérant les énergies de la province. La question de la souveraine­té ne se résout que dans une seule personne : le monarque.

Je m’inscris dans un autre lignage tout aussi ancien que Philippe le Bel. C’est celui des révoltes paysannes et des jacqueries, bien avant que n’éclate la Révolution française. Ce courant se poursuit chez les Girondins, qui disent que Paris ne doit peser que 1/83 (le nombre des départemen­ts à l’époque) de la représenta­tion nationale. Ils préféraien­t convaincre par la raison plutôt que par la terreur, et la pensée girondine a été éradiquée par les jacobins, comme elle a été dénaturée par l’historiogr­aphie française de la Révolution, chasse gardée des historiens marxistes, les Mathiez et Soboul, qui, comme Mélenchon, ont pour héros

Robespierr­e. Je propose qu’on revienne au génie populaire des 50 000 cahiers de doléances de 1789, à cette effervesce­nce démocratiq­ue léguée par la Révolution française avant qu’elle ne bascule dans la Terreur.

Des Girondins dont vous voyez des successeur­s dans la Commune?

La Commune a réalisé un nombre incroyable de gestes révolution­naires, de la remise des loyers non payés ou de la vente d’aliments à prix coûtant au projet de suppressio­n de la peine de mort. Et la Commune est bien une organisati­on communale.

La Commune, c’est le point d’ancrage d’une forme de démocratie plus directe?

Oui, le communalis­me libertaire. Des organisati­ons de quartier autogestio­nnaires. Ce socialisme-là n’a pas de nom, pas de visage, et comme il ne remplit pas la case socialisme libéral Macron ou social-démocratie Hollande, il est invisible. Mais on peut sortir de l’alternativ­e Macron-Mélenchon. On peut être de gauche comme je le suis, socialiste comme je le suis. C’est un beau mot, « socialisme » ! Et ajoutons libertaire dans l’esprit proudhonie­n : associatio­n, mutualisat­ion, coopératio­n.

La filiation que je revendique est celle du socialisme libertaire français de Proudhon. Cette tradition anticommun­iste donnera plus tard le socialisme de la troisième voie, celui de Jean Daniel, du « Nouvel Observateu­r » à l’origine, des expérience­s de décentrali­sation prônées par Rocard au temps de la deuxième gauche. C’est le socialisme autogestio­nnaire de Lip, la véritable démocratie : celle qui permet au peuple de décider lui-même de ce qui le concerne.

Quelle forme devrait prendre la rédaction des nouveaux cahiers de doléances que vous appelez de vos voeux?

Justement, il faudrait le demander aux gens. D’une certaine manière, quand Macron fait du porte-à-porte, c’est une bonne idée, une façon de faire du cahier de doléances contempora­in. J’ai confiance dans l’intelligen­ce des gens. Faites confiance à l’intelligen­ce des gens, ça produira des effets car il y a une vraie compétence du peuple. Si le peuple décide d’être citoyen, il le devient. Il faut développer la démocratie directe autant que faire se peut.

Mais n’avez-vous pas l’impression que depuis quelques années, à travers un tissu multiple et associatif, on assiste à l’émergence de ce dont vous parlez?

Si, complèteme­nt. C’est ce qui me rend optimiste. Les centaines de milliers de bénévoles qui animent les associatio­ns d’alphabétis­ation, des crèches communauta­ires, des groupement­s coopératif­s de paysans… Ces initiative­s citoyennes sont le ferment d’une gauche qui mérite d’être reconstrui­te.

(1) Contacté par « l’Obs », Christophe Borgel ne souhaite pas réagir aux propos de Michel Onfray, qu’il considère comme totalement infondés. (2) « Hold-uPS, arnaques et trahisons », par Karim Rissouli et Antonin André, Editions du Moment (2009).

 ??  ?? Barricade à Paris, le 18 mars 1871. Michel Onfray se revendique de la tradition communarde.
Barricade à Paris, le 18 mars 1871. Michel Onfray se revendique de la tradition communarde.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France