Bertrand Burgalat, le préfet de la pop
Fils d’un grand commis de l’Etat, il a connu BOKASSA, a travaillé avec HOUELLEBECQ et Valérie Lemercier, écrit un best-seller sur le diabète… A 53 ans, ce MÉLODISTE raffiné sort son meilleur album
« LES CHOSES QU’ON NE PEUT DIRE À PERSONNE », par Bertrand Burgalat (Tricatel).
Quelle est la différence entre un préfet de la République et un chanteur pop ? Une génération. Fondateur du label Tricatel, compositeur de musiques de films, producteur de Valérie Lemercier ou de Michel Houellebecq, auteur d’un best-seller sur le diabète, dont il souffre depuis l’âge de 11 ans, Bertrand Burgalat est le fils du préfet Yves-Bertrand Burgalat, qui, en guise de costume de cérémonie, portait la cape du maréchal de Lattre de Tassigny. Le fils, qui publie aujourd’hui le superbe disque « les Choses qu’on ne peut dire à personne », s’est longtemps opposé au père (1919-1983). Ancien cadet de Saint-Maixent, résistant, croix de guerre, héros de la bataille de la trouée de Belfort, le préfet surnommait tendrement son petit Bertrand « Pol Pot ». Ce qui n’empêchait pas « Pol Pot » de répéter sur son clavier avec son premier groupe, Onde Mauve (« du rock progressif à la Gong »), à la préfecture d’Ajaccio.
Monsieur Burgalat régna sur ce palais républicain de 1977 à 1979. « Mon père était à la fois très old school et très humain, mais, dans les années 1970, ce n’était pas cool d’être du côté du pouvoir et d’être fils de préfet. Je me sentais coupable, raconte, derrière ses lunettes, l’artiste de 53 ans aux airs hybrides de haut fonctionnaire pompidolien et de dandy swinging London cryogénisé par « Austin Powers ». A Ajaccio, j’étais très pénible avec lui. J’avais 14 ans, je lisais “Charlie Hebdo’’, “la Gueule ouverte’’. J’apprenais ça par coeur et je faisais chier mon père sur son côté préfet giscardien. J’aime la Corse, les montagnes de Vizzavona, j’ai écrit une chanson intitulée “Nonza’’ et je chante le cirque de la Solitude. Mais quand je suis arrivé au lycée Fesch, à Ajaccio, le fils de préfet que j’étais a eu droit à un comité d’accueil aux petits oignons. C’était assez violent. J’ai compris plus tard qu’il m’avait été préparé par le fils du préfet Jean Riolacci, prédécesseur de mon père. »
Burgalat se souvient aussi d’une subtile manoeuvre diplomatique de son paternel impliquant Bokassa Ier, empereur de Centrafrique. « Bizarrement, j’avais déjà rencontré Bokassa, avant qu’il ne devienne
empereur, quand mon père était en poste à Colmar, raconte le musicien aux cent vies. On était venu me chercher en classe pour que je lui remette un livre au nom de tous les petits écoliers alsaciens. Il avait des décorations jusqu’aux genoux et il portait une mallette, destinée à quelque banque suisse, j’imagine. En 1976, Bokassa, d’empereur à empereur, avait demandé à la garde impériale d’Ajaccio de venir jouer à Bangui, pour son couronnement. La fanfare était partante, mais mon père a refroidi son enthousiasme en expliquant que ce serait peut-être là un acte regrettable. »
HOUELLEBECQ ? “INFANTILE, NÉRONIEN”
Un an plus tard, le mouvement punk déferle sur l’Europe. « Je sacralisais trop la musique pour donner là-dedans. J’ai quitté Onde Mauve quand ça s’est transformé en groupe punk sous le nom de Cardiac Vinyle. Aujourd’hui, le rock n’a plus la même fonction contestataire. Des hackers ont dévoilé les achats de Bachar al-Assad sur iTunes : on sait que le président syrien est un fan du groupe New Order. »
Burgalat découvre alors une autre forme de rébellion. A Dijon, où il prépare son bac et où son père est préfet de région, il rencontre des jumeaux et des jumelles qui, « comme des dealers », le convertissent à la pensée d’extrême droite. « A Ajaccio, je reprochais à mon père d’être un valet de Giscard. A Dijon, je lui reprochais d’être un valet de l’Union soviétique. Je lui disais : comment tu peux glorifier la Résistance et t’accommoder du fait que la moitié de l’Europe soit livrée au marxisme ? Le marxisme, comme la religion, me paraissait trop beau pour être vrai. » « Que de chimères/Sur musées et cimetières.fr », comme chante Burgalat. Tout à coup, monsieur le préfet se retrouve avec effroi avec un fils adolescent fragilisé par son diabète, enfiévré par son anticommunisme et son taux de whisky dans le sang. En 1982, à Paris, Bertrand fait son droit à Assas, « nid de fachos », et rejoint le MNR (Mouvement nationaliste révolutionnaire). Petite bête insulinodépendante, il « met le bazar », administre et reçoit des traumatismes crâniens dans ses batailles de rue contre les gauchistes. Aujourd’hui, Burgalat, qui a voté Macron au deuxième tour de la présidentielle, voit en Mélenchon un « rond de cuir qui joue au guérillero ». Parmi les anciens du MNR, « l’un est devenu général de l’armée cambodgienne et un autre, dirigeant CGT du syndicat du Livre », dit-il avec un léger sourire.
C’est en 1995 qu’il fonde son label Tricatel, hommage à Jacques Tricatel, le millionnaire de la nourriture industrielle de « l’Aile ou la Cuisse ». Les débuts sont difficiles. Le musicien ne voit plus que d’un cinquantième d’un oeil et de deux cinquantièmes de l’autre. Depuis, il a été opéré quatre fois des yeux à cause de son diabète. « J’y voyais si peu qu’il m’a fallu plusieurs mois pour découvrir que j’avais mal branché le câble Word Clock qui reliait notre Akai DR16 à la table de mixage numérique Yamaha 02R. » En 2000, Burgalat produit « Présence Humaine » de Michel Houellebecq, qu’il décrit comme un Bokassa des lettres françaises – « infantile, néronien », environné de courtisans et enclin à la lésinerie. Il évoque ses mille « caprices ». L’écrivain aurait-il exigé la présence de la garde impériale d’Ajaccio sur son disque ? « Non, c’était genre : je veux faire un duo avec Kraftwerk. Bon. Kraftwerk avait refusé Michael Jackson, c’était pas gagné ! ». Il ajoute : « Je ne l’ai jamais revu depuis. » Parmi la quarantaine d’albums que Burgalat a produits pour Tricatel, citons « Big Sun » de l’ex-chef d’orchestre Christophe Chassol, un fort poète qui transmue en notes sur ses claviers chaque syllabe de la voix humaine parlée.
Burgalat publie aujourd’hui son neuvième et meilleur album. Sur cette pavane mélancolique et funky pour steel-drums et violons, le musicien se montre plus grand commis de la mélodie que jamais. « Diagonale du vide » est un abîme de charme où l’artiste, comme sur un air de Jobim, déchante le désert français, les territoires à faible densité et peut-être aussi l’absence territoriale de son préfet préféré. Coup de maître, le parfait « l’Enfant sur la banquette arrière », dont Burgalat signe les paroles, est un magnifique portrait chinois aux pulsantes basses porno-groove, où le chanteur-parolier fait rimer Grand Canyon et crématorium. « Je suis la mendiante à qui je n’ai rien donné / je suis le dernier Noël de François Mitterrand… »