Elysée
Pour combler les ratés de la communication présidentielle, le Château a lancé à la rentrée une opération “reprise en main”. Objectif : parler plus… et mieux !
Les dessous de la com Macron
Il ne devait plus y avoir un seul couac… Ce mercredi 4 octobre, Bruno RogerPetit, dit BRP, passe une bonne partie de son après-midi à recevoir des journalistes de la presse parisienne. Dont ceux de « l’Obs ». Dans son étroit bureau au rez-de-chaussée de l’aile est de l’Elysée, avec parquet flambant neuf, le nouveau et discret porte-parole de l’Elysée (un seul tweet pour son premier mois de fonction) fait du « o », comme on dit dans le jargon. Les mains croisées sur le ventre, BRP parle de lui-même à la troisième personne et disserte sur la communication « macronienne », qu’on ne saurait comprendre, voyez-vous, si on n’a pas lu « l’Ecriture médiatique », l’entretien accordé par Jacques Pilhan, le conseiller des présidents Mitterrand et Chirac, à la revue « le Débat » en 1995. Jacques Pilhan, le théoricien de la parole rare.
Sauf que, pendant ce tempslà, de sortie en Corrèze, Emmanuel Macron « oublie » la caméra en face de lui, le micro au-dessus de sa tête et les journalistes tout autour. Venu inaugurer un campus à Egletons, le président est agacé que des salariés de GM&S, l’équipementier automobile en liquidation judiciaire, lui aient bruyamment fait part de leur mécontentement. Commentaire en aparté du locataire de l’Elysée : « Il y en a certains, au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder s’ils ne peuvent pas avoir des postes. » A 20h05, Bruno RogerPetit publie donc son deuxième tweet sur son compte o ciel de porte-parole de la présidence de la République: « Citation tronquée sortie de son contexte. » Mais l’opération de déminage fait pschitt. En pleine préparation de la réforme de la formation professionnelle et de l’assurance chômage, les critiques fusent. La polémique enfle. Macron, « président des riches », Macron, incarnation du « mépris social », Macron, désormais estampillé clone de Sarkozy, pour son goût du parler transgressif, calculé ou non. Car la phrase du président vient s’ajouter à une longue liste de formules provocatrices. Florilège: « Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler » (mai 2016, dans l’Hérault). « Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien » ( juin 2017, à la Halle Freyssinet, à Paris). «Je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes» (septembre 2017, à Athènes)…
Décrypter la parole du Château ? Ce n’est pas forcément la peine d’aller se replonger dans les écrits de Jacques Pilhan, le sorcier incontesté de la communication politique, aujourd’hui décédé, comme le suggère Bruno Roger-Petit aux journalistes qu’il reçoit. Le huitième président de la Ve République avait annoncé la couleur pendant la campagne. Il serait avare de ses mots. De son expérience de secrétaire général adjoint de l’Elysée, puis de ministre de l’Economie, Emmanuel Macron a tiré un enseignement principal en matière de communication. Les bavardages intempestifs de son prédécesseur François Hollande et le manque de discipline des « frondeurs » socialistes l’avaient consterné. Pas question de reproduire la même erreur. Plus de petits commentaires au jour le jour, de textos bombardés aux journalistes, de tutoiements, de connivence, de confidences. Fini aussi les conseillers qui déblatèrent sur les arrièrecuisines de l’Elysée,
les députés de la majorité ou les ministres qui critiquent la tambouille du gouvernement. Retour à la dignité de la fonction, à la sacralité, à l’hyperprésidence. Le fameux Jupiter. La désormais célèbre communication verticale.
Traduisez : place aux discours solennels (devant le Congrès, à la Sorbonne…) et à une série de cartes postales, d’images sans le son, Macron debout à bord d’un command-car remontant les Champs-Elysées, en combinaison de pilote de l’air, hélitreuillé au-dessus d’un sous-marin ou en maillot de football au milieu des joueurs de l’Olympique de Marseille… Pour la pédagogie des réformes, on repassera.
Qui a fait le job? Pas grand monde. La « macronie » a tenu sa promesse de campagne, elle a fait la part belle au renouvellement et à la société civile. Et il n’est pas si facile pour elle d’expliquer l’action de Jupiter au grand public. Résumé des cent jours de Macron en matière de communication ? Silence radio du côté du parti présidentiel, empêtré dans ses problèmes d’organisation, discrétion de la part de la majorité parlementaire débutante et expression souvent difficile d’un gouvernement composé de techniciens… Peu de personnalités ont émergé derrière le « chef ». « Il n’y a pas beaucoup de ministres rompus aux vieilles ficelles et qui écument les plateaux télé depuis des décennies, reconnaît-on à Matignon. La moitié du gouvernement vient de la société civile. Peu sont capables d’aller au front, à la castagne, comme Christophe Castaner [porte-parole, NDLR], Bruno Le Maire [Economie], Gérald Darmanin [Budget], Benjamin Griveaux [secrétaire d’Etat à Bercy]… On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Muriel Pénicaud [Travail] vient de faire son premier 20-heures. Agnès Buzin [Santé] fera sans doute bientôt le sien. Il faut laisser du temps au temps. »
Mais en attendant, il y a eu quelques ratés. Le Premier ministre en personne, Edouard Philippe, qui sèche à une question du journaliste de RMC Jean-Jacques Bourdin sur les pensions de retraite et d’invalidité et demande: « Permettez-moi de prendre un peu de temps et de vous répondre après la pause. » Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui, dans un tweet, qualifie de fake news la baisse de son budget confirmée quelques jours plus tard par un décret du « Journal officiel ». Sans parler des pataquès autour de la démission de Pierre de Villiers, le chef d’Etat-major des armées, une première sous la Ve République, et de la baisse des APL. Fin août, la cote de popularité du président plonge. Seulement 36% des Français se disent satisfaits de son action selon une enquête Ifop pour « le Journal du dimanche ». Une chute sans précédent sous la Ve.
Plus et mieux communiquer, c’était donc l’objectif de la rentrée. A l’Assemblée nationale, les députés ont reçu pour mission de partir affronter les caméras. « En plus des cinq porte-parole, dont je fais partie, on essaie de faire monter médiatiquement des députés qui ont une compétence technique », indique Gilles Le Gendre, vice-président du groupe La République en Marche. Au gouvernement, on autorise désormais les conseillers à répondre aux journalistes. Une réunion, le mercredi, réunit les chargés de communication de tous les ministères autour de Charles Hufnagel, le Monsieur Com de Matignon avec, au menu, le suivi de l’agenda médiatique des uns et des autres et la relecture des interviews. Christophe Castaner, lui, profite du vide et s’installe dans son rôle de PR (Public Relations) de la Macron Inc.
Cinquante et un ans, barbe de trois jours, intronisé « beau gosse » par le magazine people « Closer », l’ancien maire de Forcalquier et député des Alpes-de-HauteProvence avait envoyé un texto à Macron la veille de l’annonce de la composition du gouvernement où il disait son intérêt pour le poste de porte-parole et de chargé des relations avec le Parlement. Depuis, il se définit comme « la soupape des journalistes », « le généraliste de service ». Il enchaîne les plateaux télé et radio, avec une moyenne de trois par semaine (de France Inter aux « Grandes Gueules » sur RMC), et assume ses gaffes (la tenue « un poil trop ample » de Rihanna), ses lapsus (la feuille
“LES SILENCES JUPITÉRIENS DE MACRON ET SA MÉFIANCE À L’ÉGARD DES JOURNALISTES ONT COMPLIQUÉ LA TÂCHE DE L’ÉQUIPE.”
d’impôt à la place de la fiche de paie) et ses blagues : « Je ne vous ai pas apporté de pastis Bardouin, lâche-t-il aux journalistes lors de son premier point presse au sortir du conseil des ministres, ce ne serait pas bon pour vous. » Il voit le président de la République après chaque conseil des ministres (« des fois, ça dure quarante-deux secondes »), fait un point avec Ismaël Emelien, conseiller spécial de Macron, à l’Elysée, et Charles Hufnagel tous les mardis soir et livre ses astuces à ses camarades, moins à l’aise sous la lumière. Il convainc Jean-Michel Blanquer (Education nationale) d’aller chez Ruquier à la rentrée. Il débriefe avec Gérald Darmanin après chacune de ses prestations audiovisuelles. Il recommande à un député invité à la matinale d’une radio : « Tu te lèves à cinq heures, tu lis toute la presse et tu te répètes tes argumentaires dans ta tête. »
Dernière étape de la reprise en main médiatique de la rentrée: déverrouiller la communication du Palais. « On a ressenti un manque, explique un habitué de l’Elysée. Les silences jupitériens de Macron et sa méfiance à l’égard des journalistes ont compliqué la tâche de l’équipe arrivée au printemps, qui s’est retrouvée submergée par les demandes. On s’est résolu à l’idée que cela ne pouvait pas continuer comme ça. Il fallait quelqu’un qui connaisse parfaitement le logiciel Macron. C’est d’abord vers un profil de communicant pur et dur que les recherches se sont concentrées cet été avant de s’orienter vers un journaliste éditorialiste “Macroncompatible”, jugé mieux armé face à la presse politique et aux “réseaux sociaux”. » Le nom de Bruno Roger-Petit sort du chapeau. BRP, 55 ans, ancien reporter à France 2, un temps chroniqueur au Plus, le site participatif de « l’Obs », ex-camarade de jeu de Cyril Hanouna sur le plateau de « Touche pas à mon poste ! », et jusqu’alors éditorialiste sur le site internet de « Challenges ». Le voilà bombardé conseiller, porte-parole du Président de la République avec « pour mission de relayer la parole publique » et d’utiliser « pour ce faire tous les moyens à sa disposition, notamment le compte Twitter de la présidence », d’après le communiqué de l’Elysée du 29 août. La fonction n’avait plus de titulaire depuis 2008, au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, et a toujours été occupée par un diplomate sous la Ve République.
Erreur de casting ? La presse se déchaîne, fustige les commentaires élogieux que Bruno Roger-Petit, seul journaliste à avoir été invité à La Rotonde au soir du premier tour, réservait à Emmanuel Macron dans ses articles après avoir encensé en son temps François Hollande. Elle glose sur son surnom (« O puissance 2 » pour « Opportuniste Odieux ») et raconte comment il se vantait d’échanger des textos avec Brigitte Macron auprès de la rédaction de « Challenges ». « On s’attendait à ce que les journalistes réagissent mal à la nomination d’un des leurs, mais pas à autant de réactions négatives sur le nom même de Bruno Roger-Petit », reconnaît un proche de Macron.
Un mois et demi après sa nomination, il semble que le nouveau porte-parole ne… portera que très rarement la parole publiquement. BRP partagera les commentaires off avec Sibeth Ndiaye, 37 ans, ancienne conseillère presse de Montebourg à Bercy et chargée de la communication de Macron depuis le début de sa campagne. A lui la mise en perspective de l’action présidentielle, à elle, la riposte au quotidien. Et il laissera la maîtrise des comptes Facebook et Twitter de l’Elysée et du président au – très – discret Ismaël Emelien, ancien d’Euro-RSCG, l’homme de l’ombre, « le spin doctor, le vrai stratège de la communication », comme le décrit un ex du Château.
Le blitzkrieg de la rentrée ne sera-t-il qu’un pétard mouillé ? Un sondage donne la cote de popularité du président en recul en septembre et en octobre (Ifop-Fiducial pour « Paris Match » et Sud Radio). Un autre évoque un rebond en octobre (Elabe pour « les Echos » et Radio Classique). Les snipers de Macron ont eu beau dégainer après sa charge sur le « bordel », Christophe Castaner en tête (« On peut […] avoir l’objectif en politique d’arrêter la langue de bois », déclarait-il sur Radio Classique dès le lendemain matin), près de six Français sur dix sont choqués par son vocabulaire (Harris Interactive). Emmanuel Macron reste empêtré dans son image de président des riches. Dimanche dernier, Matignon a convoqué les ministres pour un troisième séminaire. Au programme, notamment, l’allumage de contre-feux à cette polémique. Le chef de l’Etat, qui est le premier metteur en scène de sa parole, est revenu sur sa sortie corrézienne. Lors d’une rencontre organisée par la Fédération française du Bâtiment, face à un parterre de journalistes, il a lâché : le bordel, « c’est vous qui le mettez ». En souriant.