L'Obs

Défilés

Trois semaines et demie de défilés de prêt-à-porter féminin viennent de s’achever. On n’y a jamais autant discuté de l’avenir des femmes

- Par SOPHIE FONTANEL

La féminité interrogée

Tout a commencé il y a un mois, « juste avant New York », avec l’engagement des groupes LVMH et Kering de ne plus faire défiler des mannequins taille 32. Comme une réponse, à Milan, Versace a conclu son show par un podium de cinq super-modèles des années 1990 (Carla Bruni, Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Cindy Crawford et Helena Christense­n), toutes âgées de la cinquantai­ne avec des corps puissants mis en scène dans des robes dorées. Cette image est devenue la plus virale de la mode. Dans la foulée, Dolce & Gabbana a mis les formes à l’honneur, avec des filles en culotte emboîtante et soutien-gorge pigeonnant sous des tenues transparen­tes. Ce serait mentir que d’y voir une mutation définitive de la perception de la femme. Mais une prise de conscience, c’est indéniable. D’ailleurs, signe des progrès en cours, avec mes confrères et consoeurs, quand on apercevait une fille trop maigre, on s’en parlait. J’ai même entendu un « On a mal pour elle ».

On a aussi eu mal pour celles perchées sur des talons trop hauts. L’usage des talons dans un défilé peut (et doit) être considéré comme une performanc­e. On l’a vu lors du show Saint Laurent au Troca-

déro. Le défilé était maîtrisé de A à Z, impression­nant par son courage et son onirisme, mais les talons étaient si hauts que les modèles ne pensaient plus qu’à ça. En sortant, certains disaient que ces talons étaient une aberration. D’autres grommelaie­nt que ce n’était que quelques mètres à franchir avec. Les deux se défendent. Surtout si on n’a pas à se percher si haut dans « la vraie vie » ! En tout cas, c’est devenu un énorme sujet de conversati­on dans les rangs de la fashion week.

D’ailleurs, chez Balenciaga, les mannequins aussi étaient bien surélevés. On en a vu tanguer sur leurs Crocs compensés. Mais les vêtements étaient si désirables, ma foi… On se disait tous : « Je veux tout et, en réalité, je mettrai ça avec des baskets. » Dieu sait si on en a vu, des baskets. Mais jamais comme celles de Louis Vuitton. Quasiment tout le show était « porté » – ou plutôt « transporté » – par ces énormes sneakers, tels des jouets qu’on veut à Noël. On ne sait si ça venait de cet accessoire, mais le défilé au Louvre, pourtant le dernier de la saison et où tout le monde arrivait exténué, possédait une niaque absolue. La liberté de mouvement des filles, leur pas « inné », la beauté de tout ça… Un copain, en sortant, était déçu, il aurait préféré des escarpins. Ben non, vieux. Mets-en toi-même !

Chez Dior aussi, les filles étaient à plat, ou sur de tout petits talons. Sur les sièges du Musée Rodin, un livret posait l’ambiance : « Pourquoi n’y a-t-il pas ici de grandes femmes artistes ? », reprenant l’essai provocateu­r de la féministe américaine Linda Nochlin. Il serait facile de ne voir là-dedans que du marketing, même si ça en contient. C’est avant tout très fort. Très juste. Comme ce que fait Dior en ce moment.

Après le poids et les talons, voilà qu’un autre débat s’est pointé dans les rangs : la question du sexy. Le mot même est devenu totalement « out » dans notre petit milieu, pas frais du tout, au point que les designers lui préfèrent le synonyme « joyeux ». Tout était « joyeux » à la fashion week. Le sexy par le sourire, en quelque sorte. C’est là qu’on a bien ri.

LE MOT “SEXY” EST DEVENU OUT DANS LA MODE. ON LUI PRÉFÈRE DÉSORMAIS LE MOT “JOYEUX”.

Chez Valentino, « la Vie en rose » chanté par Grace Jones passait en fond sonore. « Un rire qui se perd sur sa bouche », disait la chanson. Mouais. Les modèles ne souriaient pas du tout. Pourquoi ? Mais pourquoi, Seigneur ?! Elles sont pourtant dans de si belles robes ! Chez Céline, la musique, c’était « You Bring Me Joy » par Mary J. Blige. Pas de sourires non plus. Mais une démarche vraiment allègre des filles (et là aussi, de grosses baskets à semelles mauves), dans des habits souples. Des jupes longues, des pantalons larges. Avec cette idée que la féminité se joue sur l’aisance.

Carven a aussi revendiqué la gaieté, sur l’air entraînant de « Cambodia » de Kim Wilde, qui raconte pourtant une errance. Cette marque, Carven, pourrait bien rencontrer génialemen­t une féminité optimiste. A plat également, cela va sans dire. L’allégresse était également de rigueur chez Loewe, comme une foi acharnée dans cette idée que le vêtement peut ensoleille­r une vie.

Alors, évidemment, avec cette avalanche de plat et de confort, plusieurs de mes collègues se sont alarmés : et si on allait perdre en érotisme ? « D’autant que, cette saison, beaucoup de modèles ont les cheveux courts », a fait remarquer quelqu’un. Même la styliste Phoebe Philo de Céline s’est coupé les siens. Et ça ne serait « pas féminin » ?! Eh oui, les préjugés ont la vie dure, même dans le monde de la mode. Ce milieu a l’air ouvert, transgress­if, mouvant. Il est pourtant là, comme n’importe quel autre, fossilisé dans une certaine image de la femme bien tenace. La femme qui ne peut guère marcher longtemps, ni aller bien loin avec ses talons inconforta­bles, a encore de beaux jours devant elle. C’est déjà pas mal qu’on ait enfin une contre-propositio­n. Oh oui, cette fois, on l’a !

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DÉFILÉ AU LOUVRE EN BASKETS POUR VUITTON.
 ??  ?? LOEWE. SAINT LAURENT.
LOEWE. SAINT LAURENT.
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BALENCIAGA.
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CÉLINE.
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DIOR.
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VALENTINO.

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