A fleur de peau
UNE CHANCE FOLLE, PAR ANNE GODARD, ÉDITIONS DE MINUIT, 144 P., 14 EUROS.
C’est vrai qu’elle a une chance folle, Magda. L’eau bouillante n’a pas touché son visage, seulement son cou et une partie de son corps d’enfant. Elle n’est pas défigurée, mais juste grièvement brûlée. Chance folle encore d’être vivante, contrairement à sa petite soeur, Aurore, partie dans son sommeil alors qu’elle n’était qu’un nourrisson. On saisit bien l’ironie noire du titre du deuxième roman d’Anne Godard, remarquée en 2006 avec « l’Inconsolable », texte tout aussi sombre. Madga grandit sans avoir le droit de se plaindre, malgré la honte, malgré les opérations et les cures à répétition, la peau à vif et les cloques qui éclatent et saignent. Sa mère nie sa douleur, son père l’ignore. Quant à son frère, Marc, son presque jumeau, il s’enferme dans le silence. Dépossédée de ses sentiments, Magda l’est aussi de son corps, constamment manipulé, scruté, jugé. De cet objet de soins étouffants, elle voudrait faire un objet de désir. Pour cela, il lui faut s’arracher aux siens, faire sa mue. Quitte à se perdre. Pour raconter cette histoire de plaies et de blessures, métaphore épidermique des névroses familiales, le verbe d’Anne Godard se fait chair ; sa langue, époustouflante, agit peu à peu comme un onguent. Jusqu’à la consolation finale.