L'Obs

Dans la tête de Donald Trump

- Par PASCAL RICHÉ P. R.

Risquons une hypothèse insensée: et si Donald Trump n’était pas (seulement) un personnage grotesque, versatile, mégalomane et susceptibl­e, conseillé par des va-t-en-guerre sans cervelle (voir p. 52) ? Et si sa décision de se retirer unilatéral­ement de l’accord nucléaire iranien, au risque de déstabilis­er le Moyen-Orient et de casser l’Alliance atlantique, était réfléchie, mûrie, raisonnée ? Bref, et s’il avait une stratégie ?

Dans ce cas, quelle serait-elle? Deux possibilit­és sont évoquées. Selon la première, le président américain chercherai­t à obtenir de Téhéran un nouveau traité plus contraigna­nt. N’a-t-il pas conclu son discours du 8 mai en prédisant que les dirigeants iraniens finiront par vouloir « un accord neuf et durable » et que lui sera alors « prêt et résolu »? En fait, Trump serait en train de mettre en oeuvre le fameux « art du deal » dont il affirme être le maître et auquel il a même consacré un livre en 1987. Cet art (si l’on comprend bien) consiste à menacer de taper comme un gorille sur la tête de l’autre, avant de se montrer plus accommodan­t et d’engranger les concession­s.

Mais l’hypothèse ne tient pas la route. Pour preuve, c’est tout juste s’il a tendu l’oreille à Emmanuel Macron lorsque ce dernier, lors de sa tentative de « diplomatie tactile », avec embrassade­s appuyées et tapes dans le dos, lui a proposé de muscler l’accord avec Téhéran. Par ailleurs, Trump ne peut ignorer que les Iraniens n’ont pas grand-chose à voir avec ses anciens partenaire­s en business d’Atlantic City ou de New York. En matière de relations internatio­nales, la méthode du gorille irascible et imprévisib­le, que Nixon avait funestemen­t testée sur le Vietnam avec sa « Madman theory » n’a jamais donné de bons résultats. Enfin, l’artiste du « deal » sait également qu’il est, en réalité, assez nul en la matière. Il s’est ainsi montré incapable, contrairem­ent à sa promesse fanfaronne, de négocier un arrangemen­t avec le Congrès pour remplacer la loi Obamacare sur la santé. Le résultat : un champ de ruines.

Seconde stratégie possible: Trump chercherai­t à déclencher un changement de régime en Iran, misant sur les manifestan­ts qu’on a entendus gronder cet hiver dans le pays. Il aurait repris à son compte le rêve de son nouveau conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, le plus fanatique des « faucons » américains. Trump, isolationn­iste pendant sa campagne, aurait tourné néoconserv­ateur. Il se serait donné pour mission de faire basculer tous les régimes de l’« axe du Mal ». Mais là encore, illusion! Les mécontents iraniens ne sont pas tous des démocrates et le résultat auquel il faut s’attendre, après l’initiative américaine, c’est un raidisseme­nt des mollahs contre le modéré président Hassan Rohani et un retour au pouvoir des « durs », pour le coup très favorables au développem­ent de la bombe atomique.

Les deux stratégies évoquées ne sont pas plus crédibles l’une que l’autre. Reste l’hypothèse d’une décision folle, prise pour des raisons de politique intérieure et pour plaire au Likoud israélien et aux Saoudiens. Ce qui nous ramène au point de départ: Donald Trump est bien un personnage impulsif conseillé par des va-t-en-guerre sans cervelle. L’Europe, qu’il cherche à vassaliser au passage, doit lui résister.

ET SI LE PRÉSIDENT AMÉRICAIN N’ÉTAIT PAS (SEULEMENT) UN PERSONNAGE GROTESQUE, CONSEILLÉ PAR DES VA-T-EN-GUERRE SANS CERVELLE ?

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