Les « superfaucons » de Trump
Exit les raisonnables. Avec Bolton à la Sécurité nationale, Pompeo aux Affaires étrangères, Trump s’est entouré de “superfaucons” au diapason de ses impulsions. Et ce n’est pas la nomination de Haspel à la CIA qui va calmer le jeu. Portraits
Le premier joue les bons flics, le second, les menaçants. Mais ils disent la même chose : sur le dossier iranien, l’Europe devra se plier au diktat de Washington. « Le retrait de l’accord de Vienne ne visait pas les Européens », assure Mike Pompeo, nouveau ministre des Affaires étangères de Donald Trump. Avant d’ajouter, comme en passant : « Mais les sanctions en place sont très claires. » John Bolton, le secrétaire à la Sécurité nationale, tire quant à lui sans sommation : s’ils continuent à entretenir des relations économiques avec Téhéran, « les Européens seront frappés par les sanctions américaines »…
Adieu la subtilité, bonjour le président déchaîné. Raisonnables, sains d’esprit, Cincinnatus se sacrifiant pour empêcher la catastrophe : tous les conseillers « normaux » disparaissent les uns après les autres, un peu à la manière du roman d’Agatha Christie. Ils ne sont plus qu’une poignée tremblante regroupée derrière le dernier des Mohicans, le secrétaire à la Défense James Mattis. Ils s’accrochent, mais savent qu’ils ont déjà perdu la partie : pour sa deuxième année au pouvoir, Trump Imperator s’est débarrassé de toute retenue pour s’entourer d’une garde prétorienne inquiétante.
C’est particulièrement frappant dans le domaine de la politique étrangère. Bolton et Pompeo représentent tout ce dont rêve Trump depuis le début de sa présidence : des courtisans qui ne le contredisent pas, des durs qui ne le modèrent pas, des idéologues qui ne le raisonnent pas. Ils sont assistés de Gina Haspel, une ancienne responsable du programme de torture de la CIA, qui devrait être confirmée ce mois-ci à la tête de l’agence de renseignement. En cas de crise internationale grave, ces trois-là n’offriront aucun rempart – bien au contraire – aux impulsions du président.
JOHN BOLTON : LA GRENADE DÉGOUPILLÉE
Ce 6 mars, Donald Trump dompte enfin son aversion à la moustache de morse : « Nous avons besoin de vous ici, John. Je vous appellerai très bientôt. » En quelques mots, le président vient de décider de s’adjoindre le pire, le plus dangereux de tous ses conseillers. John Bolton est une véritable grenade dégoupillée. « Comme une version morse de Vil Coyote, il passe sa vie à dynamiter les traités, les alliances et tout ce qui comporte les mots “global” ou “multilatéral” dans le titre », résume la féroce Maureen Dowd, du « New York Times ».
Pour lui, la seule diplomatie américaine possible est celle de la force unilatérale. Il a été l’un des plus fervents avocats de l’invasion de l’Irak en 2003, prédisant que les Irakiens accueilleraient à bras ouverts les soldats américains, et que les EtatsUnis pourraient rapidement se retirer et laisser la démocratie irakienne prendre le relais. A ce jour, il continue de défendre cette aventure calamiteuse.
Avant même sa signature, il a dénoncé avec véhémence l’accord nucléaire avec l’Iran. En 2003-2004, alors qu’il était au Département d’Etat, nominalement sous les ordres de Colin Powell mais obéissant en réalité à Dick Cheney, il était allé jusqu’à fabriquer de fausses preuves de l’activisme nucléaire de l’Iran pour justifier un renversement par la force du régime des mollahs. Un objectif qu’il poursuit toujours et pour lequel, comme avec l’Irak, il n’a pas de plan pour le « jour d’après », hormis un soutien à l’Organisation des Moudjahiddines du Peuple iranien, très minoritaire.
Il est tout aussi va-t-en-guerre avec la Corée du Nord. Bolton a été particulièrement zélé pour saboter l’accord de 1994, par lequel le régime de Pyongyang s’engageait à geler la production de plutonium pendant huit ans et, pas plus tard que le 28 février dernier, il estimait qu’il est « parfaitement légitime, pour les Etats-Unis, de répondre à l’actuelle “nécessité” créée par le programme d’armement nucléaire nord-coréen en frappant les premiers. »
Dernier détail : c’est un planqué de la guerre du Vietnam. En 1970, il avait choisi de s’engager dans la Garde nationale, « n’ayant aucun désir d’aller mourir dans les rizières ». Voilà qui le rapproche de Trump !
MIKE POMPEO : L’IDÉOLOGUE MASQUÉ
« Lui et moi, nous avons une façon de penser très similaire », confie Donald Trump. Attention, roublard… Comme patron de la CIA, Mike Pompeo a cultivé habilement sa relation avec le président avec son briefing matinal quotidien, préférant aux notes compliquées des idées pouvant tenir sur une carte de visite. Il s’est aussi attiré ses bonnes grâces sur le « Russiagate », suggérant qu’à en croire les officines américaines d’espionnage l’interférence russe n’avait pas influencé l’élection (c’était faux). Autre affinité : Trump a choisi à la tête de la CIA ce congressman du Tea Party parce qu’il s’était montré particulièrement acharné contre Hillary Clinton dans l’affaire de l’attaque contre le consulat américain à Benghazi.
Diplômé de West Point et de Harvard, très intelligent, cet homme à qui l’on prête des ambitions présidentielles sait cultiver ses réseaux et lâcher de temps à autre des petites phrases rassurantes, comme : « Si nous ne jouons pas un rôle de leader dans les appels à la démocratie, à la prospérité et aux droits de l’homme dans le monde, qui le fera ? » Mais derrière les manières polies se cachent un pitbull et un idéologue virulent. Il refuse de dire s’il considère toujours que l’homosexualité est « une perversion » et a traité les autorités musulmanes américaines de « complices, par leur silence, des actions terroristes » après l’attentat du marathon de Boston en 2013. Interrogé pendant son audition de confirmation, il a refusé de dire s’il croyait ou non à la réalité du réchauffement climatique. Il faut dire qu’il est l’un des alliés les plus fidèles des frères milliardaires Koch, basés dans son ancien district du Kansas.
Il a été, depuis le début, l’un des adversaires les plus féroces de l’accord de Vienne avec les Iraniens. Au Congrès, il a même dénoncé des « accords secrets annexes » imaginaires entre Téhéran et l’administration Obama, et minimisé le coût d’un bombardement de l’Iran. A peine Trump élu président, il tweetait : « Je suis impatient de revenir sur cet accord désastreux passé avec le plus gros soutien mondial au terrorisme. » Comme disait l’autre, mission accomplie…
GINA HASPEL : L’ESPIONNE DE FER
Trump sait pourquoi les démocrates n’aiment pas Gina Haspel : « Parce qu’elle a été trop ferme avec les terroristes. » Trop ferme ? L’allusion est limpide : Haspel affiche une carrière de trente-trois ans au sein de la CIA, de chef de station jusqu’à directrice adjointe de la division clandestine, mais son image publique est notable pour son rôle joué en 2002 à la tête d’un black site (site clandestin de torture) en Thaïlande.
Pendant son audition devant le Sénat, qui devrait la confirmer à la tête de l’Agence, cette femme reconnue par ses pairs comme compétente et professionnelle a promis de ne pas autoriser le recours à l’« interrogation renforcée », selon l’euphémisme utilisé à la CIA pour désigner la torture. Elle a même indiqué qu’elle refuserait un ordre de Trump de réinstaurer ces méthodes employées sous Bush et bannies par Obama. « Je n’autoriserai pas la CIA à entreprendre une activité qui est immorale, même si elle est techniquement légale. Je crois que la CIA doit adopter des pratiques en accord avec les valeurs américaines. » Mais la torture estelle en soi immorale, selon elle ? Refus de répondre. Est-elle inefficace, comme l’ont établi plusieurs rapports officiels ? Elle botte en touche : « Des informations précieuses ont été obtenues auprès de membres importants d’Al-Qaida », même « s’il est impossible de dire si les techniques d’information ont joué un rôle ». Ce n’est pas tout : Gina Haspel a elle-même préparé l’ordre de détruire les enregistrements vidéo des interrogations du black site de Thaïlande, et sur ce sujet comme sur d’autres, tous ses démentis ne peuvent être vérifiés, puisque l’Agence décide quelles informations communiquer ou non.
Pas étonnant que le sénateur républicain John McCain, torturé au Vietnam, se soit opposé à sa nomination. En cas d’attaque terroriste contre les Etats-Unis, ces « valeurs américaines » auxquelles se réfère Haspel risquent encore de changer sous l’impulsion d’un président déchaîné, et Gina Haspel constituera un piètre bouclier. Il y a quinze ans, confie l’ancien avocat de la CIA John Rizzo, « tous, et je dis bien tous les employés de la CIA impliqués dans le programme [de torture] y croyaient à fond et y étaient dévoués sans réserve ».
“JE SUIS IMPATIENT DE REVENIR SUR CET ACCORD DÉSASTREUX [AVEC L’IRAN].” MIKE POMPEO