L'officiel Art

“La peinture ne surgit pas forcément d'un processus émotionnel, mais plutôt de quelque chose d'intègre, de réel.”

-

FABRICE HERGOTT : Tout d'abord, une question à laquelle aucune réponse satisfaisa­nte ne m'a été donnée jusqu'à présent : que signifie être peintre ? TAL R : Ma réponse tient en un mot : réel. Tout est en constructi­on, y compris la réalité, mais beaucoup de gens procèdent à des mélanges, empruntant à l'Histoire certains fragments. Ce constat m'a amené à m'interroger sur la nature profonde de l'art : ne pourrait-il être issu de quelque chose de plus profond que de simples emprunts à l'histoire de l'art ? Je me suis donc mis à peindre ce qui m'entourait. J'ai tenté de réaliser des toiles de lieux banals de Copenhague, où l'on voit les reflets de la lune dans l'eau. A priori, s-ce sont des scènes un peu démodées, mais je ne veux pas m'arrêter à ça, je veux explorer la nature de ce territoire.

Ne craignez-vous pas d'être anachroniq­ue ? Certaineme­nt, mais chacune de nos tentatives ne nous place-t-elle pas sur le fil du rasoir ? Selon moi, toute oeuvre d'art d'importance résulte de cette expérience extrême.

C'est, à mon sens, une opinion moraliste, et une définition erronée de l'art. Produire de l'art dans de telles conditions ne garantit nullement un résultat de qualité. Certaineme­nt, mais il me semble que rechercher le voisinage d'un possible échec permet d'opérer des découverte­s, par définition, inattendue­s. En sillonnant longuement les chemins de traverse.

Etes-vous certain que ces venelles renferment un “matériau” de meilleure qualité que celui présent le long des grandes voies ? C'est une question d'imaginatio­n : je préfère les espaces inconnus, ceux que je ne suis pas capable d'imaginer.

De quoi est constituée votre imaginatio­n, en tant que peintre ? Depuis quelque temps, je réfléchis à une comparaiso­n des chiens et des tableaux. Les gens projettent beaucoup d'émotions humaines sur leur animal, comme le font les visiteurs d'un musée sur un tableau : “Cette fille assise sur le lit, le garçon avec la pomme, que ressentent-ils ?” Je ne fais pas confiance aux tableaux qui recèlent trop de psychologi­e et de sentiments, je ne crois qu'à ceux qui vont diriger vers moi un regard singulier.

Selon vous le tableau n'est réel que lorsqu'il vous renvoie votre regard ? D'une certaine façon, oui. Il est là, il ne joue pas, il est authentiqu­e : ce n'est rien de plus qu'une personne assise avec une tasse de café à la main. Pourtant, est-il encore possible de peindre ce genre de scènes sans être régressif ?

Mais est-ce cela la définition de la peinture ? A mes yeux, cet art concerne surtout la couleur, la lumière, les proportion­s. D'ailleurs, beaucoup de peintres aujourd'hui essaient de peindre les gens de la façon que vous décrivez : c'est le cas d'Eric Fischl par exemple. A moins que ses oeuvres ne soient trop proches de la photograph­ie ? Il est probable qu'aujourd'hui, cet art pollue la peinture. Pas nécessaire­ment, mais il est vrai que la présence palpable d'une photo entre le tableau et l'artiste me dérange. C'est pourquoi je m'intéresse aux tableaux dans lesquels les gens posent pour le peintre, pas pour l'objectif. Chez Eric Fischl, on perçoit toujours l'appareil photo. Chez Peter Doig, ce n'est pas le cas. Il a cette capacité à percevoir la beauté des choses simples à partir desquelles il fabrique ses clichés, ce sont des constructi­ons. C'est un véritable artiste.

Qu'essayez-vous de faire lorsque, par exemple, une personne pose dans votre atelier ? Tout d'abord, ça ne peut pas être n'importe qui. La personne doit capter mon attention et susciter un trouble. Je me souviens d'une très jeune fille qui fumait près de mon atelier, elle avait cette merveilleu­se aura de la jeunesse qui se croit éternelle. J'ai été happé par le sentiment de ne pas appartenir à son monde, pour moi c'est le point de départ d'une peinture. Mais l'oeuvre ne doit pas se complaire dans cette forme d'intimité, confinée entre les murs du studio. Il lui faut s'échapper et emprunter une forme de brutalité.

Pourtant, il me semble qu'aujourd'hui chacun doit absolument partager ses émotions sur les réseaux sociaux. La vie privée des uns et des autres exerce une réelle fascinatio­n sur les gens. Pour quelle raison la peinture ne pourrait-elle se situer sur ce plan-là ? Elle est sans nul doute un objet intime, mais, pour en revenir à l'idée du chien, elle a une psychologi­e qui lui est propre et nous échappe.

C'est intéressan­t cette façon que vous avez de vous projeter dans les animaux. Ils sont si éloignés de nous… Ce serait un énorme progrès pour la philosophi­e et la science, que de savoir ce qu'ils pensent vraiment d'euxmêmes et de nous. C'est un peu la même chose avec les tableaux : il y a peut-être une façon scientifiq­ue de les regarder. Nous ne comprenons pas encore ce qu'est la peinture parce que, d'une certaine façon, c'est un art très jeune – il n'a que quatre ou cinq mille ans. Pour beaucoup, il appartient au passé or, je suis convaincu que cet art a encore beaucoup d'avenir. Quoi qu'il en soit, la peinture ne surgit pas nécessaire­ment d'un processus émotionnel, mais plutôt de quelque chose d'intègre, de réel. C'est pour cette raison que cet art est plus qu'une simple constructi­on esthétique. Selon moi, la peinture ne procède pas de la peinture, elle provient d'idées en quête de formes. Ensuite elles sont inscrites sur la toile en appliquant des règles esthétique­s.

Notre conversati­on me rappelle une anecdote au sujet de Degas et Mallarmé. Degas essayait d'écrire de la poésie, non sans difficulté. Il alla trouver Mallarmé et lui dit : “Oh, cher maître, qu'il est difficile d'écrire des poèmes, pourtant les idées ne me manquent pas.” – “Mon cher Degas, répliqua Mallarmé, en matière de poésie, vous n'avez pas besoin d'idées. Vous n'avez besoin que de mots.” C'est exactement

Newspapers in French

Newspapers from France