BALADE SUÉDOISE
À l’occasion de la prochaine réouverture à Paris de l’institut suédois*, nous sommes allés vérifier sur place, de Stockholm à Kiruna, comment se porte le design en Suède.
auteur Laurent-david Samama, photographe Olivier Amsellem
En quittant Paris pour la Suède, on transporte dans ses bagages quelques kilos d’idées reçues et de clichés tenaces. Parmi ceux-ci, la certitude de trouver dans le pays de Borg et de Bergman une nature maîtrisée et un design épuré, des lignes anguleuses et une atmosphère si saine qu’elle confinera inéluctablement à l’ennui. Vite, oublier tout cela ! Pour mesurer combien la Scandinavie a changé, il suffit de regarder les habitants de Stockholm déambuler dans leur style impeccable teinté d’hipsterisme bohème. Un mélange d’influences qui étonne autant qu’il promet d’inattendus mélanges et de jolies fusions. Cette minirévolution à l’oeuvre dans la mode locale semble s’être propagée jusqu’à d’autres champs de la création, comme le design, la gastronomie et l’art. D’emblée, cette impression est confirmée par Michael Persson Gripkow, notre guide d’un jour, également directeur de la communication de l’office Visit Sweden. “Les Suédois ont une approche à la fois durable, pratique, démocratique et esthétique du design. Ici, il est synonyme de mode de vie”, explique ce dernier. Tandis que la planète se meuble à moindres frais chez Ikea, d’autres marques plus pointues imaginent aujourd’hui le design de demain. C’est ainsi que l’enseigne Stolab promeut le “Lilla Snåland”, un tabouret ingénieux pensé par la créatrice Marie-louise Hellgren. L’histoire de ce meuble, devenu une référence, commence presque par hasard. La blonde écolo, en visite dans les usines Stolab, découvre d’importantes quantités de chutes de bois provenant de la fabrication d’un iconique modèle de chaise, la “Lilla Åland” du designer Carl Malmsten. Une idée lui vient. Utiliser ce bois laissé de côté pour en faire un meuble à part entière. Le résultat ? Un tabouret composé de 14 segments de boulot massif, dans la plus pure tradition de l’upcycling, en vogue dans les pays nordiques. Salué par de nombreux prix et exposé au Nationalmuseum, le siège d’hellgren constitue certainement l’un des meilleurs exemples de cette Suède du design qui avance en bousculant les codes de l’architecture intérieure scandinave.
DYNAMITER LES CODES
Alors que nous rejoignons les faubourgs verdoyants de la ville, Michael Persson Gripkow se lance dans une analyse sociologique du design à la suédoise : “Il y a désormais à l’oeuvre une volonté de casser l’image, de passer à une nouvelle ère. L’immigration nous a apporté beaucoup d’inspirations, un regain d’énergie… qui infuse désormais tous les champs de la création, et bien évidemment, l’art.” Pour s’en assurer, il suffit d’entrer dans l’atelier de l’artiste Frida Fjellman, à Hägersten. Présente au dernier Art Basel de Miami avec son installation Crystal
Atmosphere, la jeune femme incarne la fine fleur de la création artistique locale. Son objectif ? Dynamiter les codes en proposant des suspensions oniriques aux formes souvent arrondies, globuleuses et colorées, là où le design suédois a toujours affiché un goût prononcé pour les figures géométriques strictes. Elle raconte : “En arrivant à l’école d’art, j’ai vite compris qu’il y avait un tas de règles non écrites qui brimaient la créativité et installaient, de fait, une certaine esthétique de la rigueur. On me freinait sans cesse dans mes élans. Cet état d’esprit n’a plus cours aujourd’hui. On préfère repérer les talents et les laisser
vivre !” Cet automne, Frida Fjellman et ses oeuvres voyageront vers Paris pour célébrer la réouverture de l’institut suédois de la capitale. Pour l’occasion, elle a travaillé tout l’été à l’élaboration d’une mystérieuse et spectaculaire Pink Marie-antoinette de six mètres de haut. Autoproclamé “naïf”, “pas
prétentieux” et “désarmé”, l’art de cette jeune créatrice s’exporte désormais aux quatre coins de la planète. Si l’élite locale se démène pour changer notre regard sur le design suédois, que l’on se rassure, les fondamentaux ne sont jamais loin !
LE REGISTRE DE L’ÉMOTION
Preuve en est la visite que nous rendons à l’orfèvre Olle Olls, qui partage un vaste atelier avec d’autres artisans au coeur d’une rue huppée du centre de Stockholm. L’artiste oscille, selon l’humeur, entre deux directions. Soit un travail brut de la matière qui produit des sculptures jouant sur le registre de l’émotion. Soit un travail minutieux sur des coupelles et autres vases aux reflets dorés que l’on croirait tout droit sortis de l’antiquité. “Ce type d’artisanat oblige à MENER UNE RÉFLEXION SUR LE TEMPS QUI PASSE,
explique-t-il. Ici, rien n’est rapide, on met parfois plusieurs semaines pour arriver à sortir la pièce idéale. Il y a un certain esprit ancestral qui se traduit concrètement par le travail avec le marteau. Il s’agit d’une technique en voie de disparition en Europe. Par conséquent, elle devient unique, précieuse.” Au fil des rencontres qui s’enchaînent, nous prenons la mesure de cette tension constante entre modernité et tradition, leitmotiv des oeuvres aperçues. Une dualité pensée comme un défi à l’heure de la mondialisation.
“En arrivant à l’école d’art, j’ai vite compris qu’il y avait […] une certaine esthétique de la rigueur. Cet état d’esprit n’a plus cours aujourd’hui. On préfère repérer les talents et les laisser vivre !” FRIDA FJELLMAN, artiste plasticienne
Au même titre que les expérimentations d’olls et de Fjellman, cette quête du Graal nordique pourrait bien être également celle du chef Magnus Ek, deux étoiles au Michelin. Dans son restaurant Oaxen Krog & Slip, gentiment niché dans un recoin de l’île de Djurgården, ce dernier sert des plats qu’il décrit “simples et goûtus”. “Ici, détaille-t-il, rien de compliqué ! Je travaille autour de notions comme le partage, le local et surtout la saveur. En venant au Oaxen, on doit se sentir comme chez des amis, c’est notre volonté de départ. Il faut que ce soit sincère et moderne.” À table, cela se traduit par une carte cohérente déroulant ses harengs fumés, tartares de viande de renne, légumes du jardin et viande de boeuf vigoureusement persillée. Mais surtout, on y retrouve ce mélange désormais signature de techniques ancestrales (ici, le fumage des viandes et des poissons) reboosté par des touches ultracontemporaines. Une aventure en soi.
CAP AU NORD
Après Stockholm, le Grand Nord nous tendait les bras. Deux heures d’avion plus tard, atterrissage à Kiruna, en Laponie suédoise. Une fois sortis de l’aéroport minuscule, nous découvrons des rues à la Twin Peaks et des forêts majestueuses où LE SILENCE RÈGNE EN MAÎTRE. DIFFICILE, DANS ces conditions, de repérer un élément de modernité en ce lieu situé à 150 kilomètres au nord du cercle polaire. Pourtant… sous le soleil de minuit, nous nous retrouvons face au Solar Egg, OEUVRE ÉPOUSTOUFLANTE SIGNÉE par les architectes Bigert & Bergström. Cette installation est composée d’un intérieur en bois de pin et d’une soixantaine de panneaux dorés modulables pour l’extérieur. En son sein, un sauna à la chaleur enveloppante – ou comment relooker le loisir immémorial des Suédois dans un élan futuriste. Un symbole, presque trop évident, entre art de vivre et culture futuriste.
* Réouverture le 21 octobre. https://paris.si.se/
Ci-dessus,le chef Magnus Ek, deux étoiles au Michelin. Page de droite, oeuvre d’art ludique, le Solar Egg, signé par le duo Bigert & Bergström, reflète la ville de Kiruna, ses industries, ses lacs et ses forêts. À l’intérieur, un sauna qui invite à… l’introspection !