M. Arnaud Valois Paris 75019 12.06.2017
“120 larmes par minute”. C’est ainsi que le Festival de Cannes a rebaptisé le film de Robin Campillo, 120 battements par minute *, après sa projection officielle en mai dernier. À l’arrivée : standing ovation, émotion palpable, critiques dithyrambiques, et… Grand Prix du Jury. Difficile de sortir indemne d’une telle expérience pour Arnaud Valois, l’un des deux interprètes principaux du film.
Vous étiez-vous préparé à une telle consécration ?
Arnaud Valois
: On n’y est jamais vraiment préparé. Mais très vite, avant même le tournage, j’ai senti la puissance que ce film pourrait avoir. Il y a un avant et un après, pour moi, pour l’équipe, et pour le public. C’était le bon moment pour faire ce film ? Oui. La jeune génération n’a pas connu ces années de lutte et d’engagement dans un combat encore réellement d’actualité. Ce film aborde des sujets qui parlent à tous. Le combat, l’amour, l’amitié, la maladie, la mort. Il ne laisse personne indifférent et invite au questionnement, à l’engagement. Comme le dit Robin : “Quand une société évolue […] elle développe une sorte d’amnésie sur ce qui l’a précédé.” C’est bien d’être là pour réveiller les consciences.
Et pour vous, c’était aussi le bon moment ?
Oui et non. Je venais tout juste de décrocher ! Cinq ans que je n’avais pas joué, dix ans tout juste que j’avais commencé (dans Selon Charlie, de Nicole Garcia, ndlr). Le cinéma, pour moi, c’était mort et enterré, j’avais tourné la page, suivi une formation de masseur en Thaïlande, ouvert mon cabinet, confirmé mon inscription en école de sophrologie. Le deuil était fait, j’avais travaillé dur pour ça. Et début janvier 2016, le téléphone sonne. J’hésite. Je décide de ne pas ouvrir le scénario. Je sais déjà que je vais avoir envie de faire ce film, fort, engagé, et donc de décrocher le rôle. Je me dis que, quitte à revenir, autant revenir avec ça. Mais je sais aussi combien la pression, la déception peuvent être destructrices dans ce métier. Aucune envie de reconnecter avec ces sensations. J’y suis donc allé les mains dans les poches… Et j’ai fini par craquer ! L’attente était trop longue. J’ai dit stop, je renonce. C’est à ce moment-là que Robin m’a appelé pour me dire que j’avais le rôle. Je pense qu’il avait envie de voir où était la fêlure. Et nous avons passé un accord : celui de ne pas me “protéger”.
Le rôle était-il fait pour vous ?
Pas vraiment ! Robin imaginait un Nathan plus maladroit, moins bien dans ses baskets, moins cliché beau gosse. Ça aussi, ça a été un souci, ça l’a fait beaucoup hésiter. C’est l’éternel problème du cinéma français, mais il faut faire avec.
Le réalisateur Robin Campillo voulait un casting au “parler pédé”. Être ainsi catégorisé vous a-t-il gêné ?
Absolument pas. À la lecture du scénario, c’était une évidence, il y avait ce ton, et il ne s’invente pas. Même si, dans la “vraie” vie, je ne considère en aucun cas avoir à me revendiquer d’une communauté pour mieux mener le combat.
Vous êtes engagé, dans la vraie vie ?
Je ne suis pas un militant dans l’âme. Je m’en tiens depuis vingt ans à une démarche citoyenne, financière, en versant tous les mois au Sidaction. L’activisme politique n’a jamais été mon truc. C’est quelque chose que je comprends, mais que d’autres font mieux que moi. Act Up-paris existe toujours, et je fais très attention à ne pas en parler au passé. Faire ce film, c’est ma façon à moi de soutenir leur combat, et d’en être fier.
Quel âge aviez-vous au moment du film, et comment considériez-vous alors Act Up ?
J’avais 8 ans en 1992. Le seul souvenir que j’ai d’act Up, c’est celui de l’opération capote sur l’obélisque de la Concorde.
Votre premier avis sur le sujet ?
Sida = préservatif. Je ne l’ai pas vécu comme une période sombre, sans espoir. Au contraire. Les trithérapies existaient déjà, et le meilleur moyen d’échapper à la maladie, à la mort, c’était encore de se protéger. L’équation était simple. Ce n’est que plus tard, à l’âge adulte, que j’en ai mesuré tous les enjeux.
Et votre dernier sentiment sur la question ?
Mitigé. Un lamentable désengagement des pouvoirs publics, et de formidables progrès médicaux. En revanche, le dépistage régulier, voire systématique, reste un enjeu vital.
Les scènes d’amour et de mort sont terribles de véracité. Lesquelles furent les plus difficiles à jouer ?
Celles de mort, sans hésiter. Ce sont les scènes où il faut toujours aller chercher le plus loin en soi. Et puis j’étais seul avec moi-même, Nahuel (Pérez Biscayart, ndlr) avait “juste” à faire le mort, il le faisait très bien d’ailleurs, l’ambiance était lourde sur le plateau.
Qu’est-ce que ce rôle a changé pour vous ?
Tout et rien ! J’ai fait ces dernières années un énorme travail de développement personnel, et ça je ne le remettrai pas en question. Mais depuis Cannes, j’ai de bonnes propositions. Je réfléchis donc à cette “formule magique” qui me permettrait d’allier les deux. Ça ne devrait pas être impossible, je viens de décrocher mon diplôme de sophrologue, révisé entre deux interviews.
* En salles le 23 août.