L'officiel Hommes

L'AVENIR à GRANDE VITESSE SE JOUE AU MEXIQUE

- auteur Hervé Dewintre

Utopiste ou visionnair­e ? L’architecte Fernando Romero est un habitué des projets déraisonna­bles. Mexloop, son dernier défi en date, consiste en un système futuriste de transport qui reliera les villes de Mexico et Guadalajar­a en moins de 45 minutes. Une version latina 2017 de l’hyperloop.

Dans son attitude, aucune trace d’affectatio­n ni de fausse humilité : Fernando Romero, 46 ans, n’est pas homme à penser à l’impression qu’il va laisser aux autres, tout animé qu’il est par ses projets passionnan­ts. Voix agréable et regard intelligen­t. Costume élégant et griffé. Une chose surprend cependant : il est seul. Aucun garde du corps à l’horizon, ni de près ni de loin. Car Fernando Romero n’est pas un architecte comme les autres. Certes il aligne les réalisatio­ns d’anthologie – le musée d’art de Soumaya à Mexico, le pavillon The Bridging Teahouse en Chine, le nouvel aéroport internatio­nal de Mexico – ainsi que les distinctio­ns prestigieu­ses, dont l’internatio­nal Bauhaus Award reçu en Allemagne en 2004. Son cursus aussi est impeccable : il a appris le métier aux côtés de Jean Nouvel à Paris puis de Rem Koolhaas au sein de l’agence OMA à Rotterdam, de 1997 à 2000, avant d’ouvrir un an plus tard sa propre agence baptisée FR-EE (Fernando Romero Enterprise). Koolhaas, depuis, ne tarit pas d’éloges sur lui : “Fernando était incroyable­ment créatif, il articulait ses idées avec maestria dans des croquis et des maquettes. Un collaborat­eur merveilleu­x”, se souvient-il. Mais c’est surtout la situation familiale de l’architecte qui laisse rêveur. Fernando Romero est le beau-fils de Carlos Slim Helú. Pour ceux qui l’ignorent encore, cet homme d’affaires mexicain est l’un des hommes le plus riche de la planète, le sixième selon le classement du magazine Forbes. Sa fortune estimée à 65 milliards de dollars. Romero n’aime pas trop qu’on aborde le sujet, difficile pourtant de faire abstractio­n. C’est par cet impair que commence l’interview. “Qu’est-ce qui vous fait croire que je suis au sommet de la pyramide ?”, demande-t-il en guise de réponse à ma première question, avec une pointe de suspicion. Oups. Nos informatio­ns seraientel­les erronées ?

nouveaux paradigmes

Pour continuer l’entretien, on rebondit

grâce à une habile métaphore : “Vous citez SOUVENT DANS VOS INTERVIEWS UNE FIGURE QUI vous tient à coeur, celle de la pyramide. Pas simplement d’un point de vue architectu­ral mais aussi dans ce qu’elle représente d’un point de vue sociétal, symbolique. L’élite – le sommet de la pyramide – détient le pouvoir, l’accès à l’informatio­n et, d’une CERTAINE MANIÈRE, LA POSSIBILIT­É D’AGIR SUR LES CHOSES, D’IMPULSER DES CHANGEMENT­S DÉCISIFS dans la société. Que vous le vouliez ou non, vous incarnez ce pouvoir et votre parcours prouve que vous avez activement contribué à CHANGER LA SOCIÉTÉ EN INITIANT DE NOUVEAUX PARADIGMES. PAR EXEMPLE, EN METTANT AU POINT UN PROTOTYPE DE LOGEMENT MODULABLE QUI peut être utilisé dans les “barrios” [quartiers,

ndlr] et personnali­sé par ses utilisateu­rs, AVEC POSSIBILIT­É DE PRODUIRE SA PROPRE ÉNERGIE solaire et de récolter les eaux pluviales.” Fernando Romero se détend, il sent qu’on n’abordera plus le sujet de sa vie privée. Ses yeux s’animent, brillants, sévères parfois. “BIEN SÛR, NOUS – L’AGENCE – SOMMES IMPLIQUÉS DANS DES PROGRAMMES sociaux. Mais le point fondamenta­l de notre démarche, c’est de considérer que la TECHNOLOGI­E PEUT BOOSTER L’ÉCONOMIE DU PAYS. Et aussi, d’une certaine façon, favoriser L’ÉMERGENCE D’UN DYNAMISME CULTUREL.” Fernando Romero, on le constatera durant tout l’entretien, parle du Mexique avec une véritable passion. Le pays et son évolution, voilà ce qui galvanise l’architecte. On a beaucoup parlé, entre 2012 et 2014, d’un “moment mexicain”. Tous les curseurs paraissaie­nt être au vert, les opportunit­és semblaient réelles. Qu’en est-il aujourd’hui ? “Il y a eu des réformes et, effectivem­ent, ce moment mexicain dont vous parlez a bien eu lieu. Si le contexte internatio­nal semble plus tendu aujourd’hui, il faut toujours GARDER EN TÊTE QUE, DE L’ÉPOQUE DES PYRAMIDES jusqu’au modernisme, le Mexique a toujours eu une architectu­re humaine et vivante, liée à UNE GRANDE RICHESSE NATURELLE. LE MEXIQUE du Xxie siècle se construit. Cette constructi­on s’appuie sur un véritable foyer créatif. L’architectu­re, j’en suis persuadé,

a un impact sur la culture, elle participe AUX CHANGEMENT­S SOCIAUX. JE VEILLE POUR ma part à ce que mes projets projets restent liés à l’histoire, à la richesse de l’architectu­re et au pouvoir des symboles de mon pays, le Mexique. L’aéroport de Mexico est un bon exemple : dès 2020, il pourra accueillir 68 MILLIONS DE VOYAGEURS PAR AN, 120 MILLIONS en 2048, et il aura une incidence positive sur notre économie et notre connexion au monde.”

déconstrui­re les frontières

Les projets justement. Ceux de Fernando ne laissent pas indifféren­ts. Quitte à susciter parfois le doute ou l’incompréhe­nsion. Il faut dire qu’ils sont souvent d’une ampleur inédite et semblent, pour notre faible raison du moins, faire partie du domaine de l’utopie. Comme par exemple la création d’un Bridging Museum entre les villes de Ciudad Juárez (dans l’état de Chihuahua, au Mexique) et d’el Paso (Texas, États-unis) surplomban­t le Rio Grande. Imaginé en 2001, abandonné depuis, ce musée devait accueillir l’histoire commune des deux pays. Plus fou encore, ce projet de ville-frontière proposé en 2014, lors de la biennale de Londres : une cité binational­e sur près de 29 000 hectares, à l’intersecti­on des États du Texas, du Nouveau-mexique et du Chihuahua. Une ville polycentri­que intégrant de multiples pôles économique­s, dont le concept spatial repose sur des hexagones, avec leur propre centre, connectés à des corridors de transport et à des passages frontalier­s. La ville deviendrai­t une zone semi-indépendan­te, un peu comme Hong Kong ou Andorre, sans être pour autant un paradis fiscal. L’architecte compte bien faire

de ce projet une réalité dans dix ans. “JE SUIS persuadé que la notion de frontière est un concept primitif à l’ère de la mondialisa­tion et de la libre circulatio­n des biens et des PERSONNES. C’EST UNE VISION à LONG TERME QUI déconstrui­t la nécessité d’un mur.” Tout aussi singulier et révolution­naire, mais peut-être moins utopique qu’il n’y paraît, est le projet Mexloop. Un système de transport en forme de corridor futuriste digne du film Minority Report. Dans ce tube géant circulerai­ent, grâce à la lévitation magnétique, des capsules maintenues en suspension et capables de relier, en quelques minutes, les principaux centres culturels, industriel­s et manufactur­iers du pays : ce projet fait partie des 10 projets retenus lors du concours Hyperloop One Global Challenge, lancé en mai 2016 par la start-up Hyperloop One de Los Angeles (qui comprend une poignée d’investisse­urs de haute volée, notamment Shervin Pishevar qui a investi dans Uber et Airbnb, mais aussi Rob Lloyd et Nick Earle, venus de chez Cisco). Quelque 2 600 participan­ts avaient répondu à l’appel. Le projet mexicain lauréat semble non seulement très intéressan­t mais aussi réalisable. Romero s’anime, ce défi visiblemen­t le comble, par son caractère expériment­al et son utilité. Son engouement s’entend : “Mexico, s’enflamme-t-il, est la ville la plus encombrée d’amérique et la deuxième ville la plus encombrée au monde : 21 MILLIONS DE PERSONNES EN 2017, COINCÉES QUOTIDIENN­EMENT DANS LES EMBOUTEILL­AGES, 30 millions en 2050. Une heure trente dans les bouchons tous les jours. Ce projet répond donc à une problémati­que majeure et il y répond de manière révolution­naire.

les champs magnétique­s

Ce système de transport dans lequel LES VOYAGEURS POURRONT CIRCULER à LA VITESSE DE 1 000 KM/H PERMETTRA DE CONNECTER Mexico en quelques minutes aux villes les plus peuplées du Mexique : Querétaro DONT L’INDUSTRIE AÉRONAUTIQ­UE EST FLORISSANT­E, León qui emploie quasiment un million de personnes dans l’industrie automobile et Guadalajar­a qui est la Silicon Valley du Mexique. On pourra passer d’une ville à l’autre en quelques minutes alors que ça prend une journée pour le faire aujourd’hui. Pour notre industrie manufactur­ière, ce sera UN AVANTAGE COMPÉTITIF MAJEUR, SANS MÊME parler de notre réseau d’université­s et de centres de recherche et développem­ent. CE SERA L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE MÉGAPOLE dont les potentiels seront immenses.”

“Je suis persuadé que la notion de frontière est un concept primitif à l’ère de la mondialisa­tion et de la libre circulatio­n des biens et des personnes. C’est une vision à long terme qui déconstrui­t la nécessité d’un mur.” Fernando Romero

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