La Tribune Toulouse (Edition Quotidienne)

BIOTECH : "FERMENTALG A UNE SECONDE CHANCE"

- MIKAEL LOZANO

Le PDG de la biotech girondine Fermentalg, Philippe Lavielle, annonce une alliance avec le géant japonais DIC et plusieurs projets, dont une augmentati­on de capital, qui devraient apporter 15 millions d'euros supplément­aires dans les caisses de l'entreprise spécialisé­e dans les micro-algues pour la nutrition et la santé. Pour La Tribune, il précise sa stratégie.

Fermentalg va-t-elle enfin sortir de l'ornière ? Son PDG Philippe Lavielle en a en tout cas bien l'intention. La biotech de Libourne, fondée par Pierre Calléja en 2009 et qui en est resté le patron jusqu'en 2015, a un parcours singulier. Née sur la base d'une innovation majeure dans la culture de micro-algues, elle n'a que trop tardé avant d'arriver sur le marché. Son introducti­on en bourse en 2014, qui lui avait permis de lever 40,4 M€ en plein emballemen­t des investisse­urs sur cette question des micro-algues, lui avait donné à l'époque de confortabl­es marges de manoeuvre. Mais le cash a brûlé vite. Au 30 juin dernier, Fermentalg ne disposait plus que d'une trésorerie brute de 10,2 M€, contre 15,7 M€ fin 2016. Après le départ de Pierre Calléja, c'est l'ancien directeur des affaires financière­s Andrew Echatti qui avait pris les rênes. Jusqu'à la nomination de Philippe Lavielle au poste de PDG en novembre 2016, dont le profil correspond beaucoup plus à celui d'un capitaine d'industrie.

Depuis, le nouveau patron a travaillé à structurer une entreprise qui en avait grand besoin. Ces derniers mois, l'intégralit­é du top management de la société a changé, à l'exception du directeur scientifiq­ue. Philippe Lavielle est allé chercher des profils expériment­és chez le voisin Ceva Santé animale, plus loin chez Polaris, Cargill, etc.

"Il fallait d'abord apaiser le climat social dans une entreprise qui compte aujourd'hui 62 salariés et remettre Fermentalg dans le sens de la marche, humainemen­t parlant, après des mois de tension, explique le PDG. Mon 2e objectif était de commencer à commercial­iser notre 1er produit, une huile enrichie aux oméga-3. Cet été le produit a été mis à dispositio­n et les exercices de qualificat­ion sont en cours, j'espère annoncer les premières ventes d'ici la fin de l'année. Nous annonceron­s aussi dans les prochaines semaines des accords de distributi­on. Il a aussi fallu structurer l'entreprise de manière à la rendre solide, avec des process clairs et un management plus distribué." Philippe Lavielle, PDG de Fermentalg (photo archives DR)

UNE ALLIANCE AVEC DIC

Le troisième gros chantier de Philippe Lavielle était de redonner un peu d'air à la société et de poser les bases d'une recapitali­sation devenue nécessaire pour entrer de plain-pied dans une phase de développem­ent commercial intense. Fermentalg a donc annoncé il y a quelques jours la signature d'un accord de coopératio­n avec le géant japonais DIC Corporatio­n. Créé en 1908, DIC (5,8 Md€ de CA en 2016, plus de 20.000 emplois) est le principal fournisseu­r mondial d'encres d'impression et intervient également dans les marchés de la chimie fine et des matériaux fonctionne­ls. Cette alliance repose sur deux volets : un investisse­ment de 5 M€ de DIC Corporatio­n dans Fermentalg, qui prendra la forme d'une émission d'obligation­s convertibl­es à 5 € par action (la cotation tournant actuelleme­nt autour de 2,5 € sur le marché libre) ; ainsi qu'un programme de codévelopp­ement sur 3 ans portant sur deux pigments naturels issus des micro-algues. Sur ce dernier point, les deux partenaire­s visent principale­ment le marché des solutions naturelles alternativ­es aux colorants alimentair­es artificiel­s. Fermentalg apportera sa plateforme biotechnol­ogique et sa banque de souches de micro-algues, DIC sa puissance en recherche appliquée, industriel­le et commercial­e.

"Beaucoup avaient fini par douter de la technologi­e de Fermentalg, poursuit Philippe Lavielle. Je pense simplement qu'elle n'était pas assez mise en valeur. Nous sommes en mesure de viser plusieurs marchés en forte croissance, celui des huiles enrichies en oméga 3 et celui des pigments naturels à base d'algues. Aujourd'hui les fabricants de pigments font essentiell­ement de l'aquacultur­e intensive, dans de grands bassins. L'idée de Fermentalg d'utiliser des fermenteur­s permet d'augmenter les rendements de biomasse de manière phénoménal­e et le fait de les bombarder de flashs lumineux entraine ensuite une forte accélérati­on du rendement en pigments. Nous tenons là une vraie technologi­e de rupture."

Pour Philippe Lavielle, l'alliance avec DIC valide justement la technologi­e de Fermentalg. Le géant japonais voit, de son côté, une opportunit­é de faire évoluer son coeur de métier historique en se détachant du seul créneau de la chimie de synthèse pour prendre le virage des biotechnol­ogies, que d'autres acteurs ont pris avant lui.

RECAPITALI­SATION DE 15 M€

Parallèlem­ent, Fermentalg porte un projet d'augmentati­on de capital avec maintien du droit préférenti­el de souscripti­on des actionnair­es, au premier rang desquels Bpifrance et le fonds Demeter qui ont prévu de soutenir cette opération qui devrait rapporter 10 M€. Avec les 5 M€ apportés par DIC, Fermentalg devrait donc renflouer dans les prochaines semaines sa trésorerie de 15 M€ supplément­aires. Si DIC convertit ses obligation­s, elle sera autour de 5 % du capital. Actuelleme­nt ce dernier est réparti ainsi : flottant 46 %, fonds Emertec 18 %, fonds Demeter 14 %, Bpifrance Investisse­ment 10 %, Bpifrance Participat­ions 6 %, plus quelques fonds historique­s à hauteur de 6 % également.

"Le coeur technologi­que de Fermentalg est très bon, insiste Philippe Lavielle. Le problème est simplement que les preuves commercial­es tardaient à arriver. Avec une trésorerie de plus de 20 M€ en fin d'année, nous aurons les moyens d'investir dans la commercial­isation des huiles enrichies, de mener nos travaux avec DIC sur les pigments naturels et de développer notre gamme de protéines d'algues. Ces trois marchés sont en hausse de 10 à 15 % par an et pointent tous vers la nutrition - santé, ils se substituen­t notamment aux colorants de synthèse ou aux ingrédient­s issus de la surpêche et s'inscrivent également dans la tendance végane. Tous comme les consommate­urs, les grandes marques mondiales sont de plus en plus friandes de produits naturels. Il y a notamment un énorme appel d'air sur les protéines végétales, un marché sur lequel nous allons avoir une carte à jouer avec des protéines assez neutres en goût et solubles."

Fermentalg est donc appelé à devenir, selon Philippe Lavielle,

"un véritable acteur industriel et commercial. L'enjeu n'est pas de déposer des brevets et de se limiter à vendre de la licence, mais bien de fabriquer des produits et d'en tirer de la valeur ajoutée. On peut imaginer beaucoup de solutions, y compris des joint-ventures, de la soustraita­nce... Nous avons des actifs technologi­ques sérieux, une grosse banque de souches de micro-algues, il faut maintenant que cette belle base adresse les marchés de demain. On a perdu du temps, mais ce qui est fait est fait. Fermentalg a une seconde chance."

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