ÉDITO/« Scène d’intérieur », par Marion Vernoux.
Partons du présupposé que mon intérieur reflète ce que je suis à l’intérieur. La porte d’entrée, située au 9 étage, annonce la couleur d’un galon brodé par mes soins : « Vous êtes bien ici. » Sitôt entré, on découvre la pièce à vivre – absurde quand on y pense, je n’ose imaginer une pièce à mourir –, au centre de laquelle trône une grande table rectangulaire recouverte d’une pimpante toile cirée. La pièce mesure 40 mètres carrés, soit près de la moitié de la surface de l’appartement. Un premier constat : la part faite à l’oralité. Ici, on a le droit, et même le devoir, de parler la bouche pleine. Ainsi que de se serrer les coudes quand la tablée s’agrandit. Poursuivons la visite : trois chambres d’une égale surface. Celle du couple et celles des enfants. Dans chacune d’elles, un lit (cela va de soi) et une bibliothèque. La position horizontale (obscurité, nudité, silence, lecture, songeries, cauchemars, caresses) occupe donc un bon tiers de l’appartement, proportion idéale si l’on s’accorde sur une durée de huit heures de sommeil par nuit. Passons au mobilier. En matière de décoration, ma croissance s’est arrêtée au stade du Monopoly, des maisons en plastique et des faux billets. Ce qui explique sans doute mon goût pour les histoires et les « on dirait que ». Résultat, un mobilier composite, bringuebalé d’appartement en appartement. Une vie à sauver les meubles. Tel ce canapé en cuir, jadis blanc, acheté il y a vingt ans avec les 3 000 francs hérités de mon grand-père. Un des pieds ayant été scié par erreur, il doit sa stabilité à une caisse de bordeaux surmontée des catalogues d’exposition de Berthe Morisot et de Gilles Caron. Ce canapé dit ce que je suis « à l’intérieur » : bancale, soit, mais toujours apte à l’usage. Fidèle, aussi. Nostalgique, sûrement. L’appartement étant traversant, son côté sud offre une vue sur tout Paris et des couchers de soleil bouleversants les soirs d’orage. Je ne saurais vivre sans ses fenêtres panoramiques, la faute à une enfance solitaire et recluse qui m’a très tôt donné le goût et la nécessité du dehors. Et des autres.