Écologie
Et si le vrai bonheur était de vivre dans une micromaison ? Seul·e, en couple ou en famille, ils·elles ont choisi de vivre dans une tiny house. Décryptage d’un phénomène, en mode nomade ou sédentaire.
Du rêve de simplicité à la réalité
Ils·Elles rêvent d’une vie de famille simple et nomade. De pouvoir changer de décor comme d’habit tout en ayant leur propre home sweet home. Grâce à la tiny house, petite maison sur roues venue des États-Unis, ils·elles sont de plus en plus nombreux·ses à pouvoir vivre cette aventure nomade mais aussi écologiste et minimaliste. Ironie de l’histoire, c’est dans un pays emblématique de la surconsommation que ce mouvement dit de « simplicité volontaire» est né au début des années 2000. Gabriella et Andrew Morrison, jeunes parents américains à l’origine de hOMe project, font partie de ces pionniers qui ont renoncé à leur grande maison par militantisme. «La découverte de ce mouvement est survenue à l’époque où nous vivions dans la quintessence de l’American dream. Pour nous, notre maison était représentative de notre succès (…). Mais après environ six mois, nous avons réalisé que nous en étions devenu·e·s esclaves. » S’ensuivent deux constats : le temps libre consacré à l’entretien et le cercle vicieux de l’endettement. «Nous nous sommes retrouvé·e·s à dire non à nos enfants beaucoup plus que nous l’aurions souhaité. Notre vie de famille en a pris un coup, d’autant que chacun·e était retiré·e dans un coin de la maison.» L’idée de départ de ce mouvement social et architectural est ainsi de réduire la taille moyenne des maisons pour gagner en qualité de vie. Popularisées par Jay Shafer et Gregory Johnson, deux passionnés d’écoconstruction, les micromaisons sur roues viennent progressivement remplacer d’autres habitats légers tels que les caravanes et les mobile homes. Certaines se regroupent pour former des villages 100% tiny quand d’autres sont transformées en dépendance pour les invité·e·s, en bureau ou en atelier, postées dans le jardin. L’ouragan Katrina en 2005 et la crise des subprimes en 2007 finissent de populariser la tiny aux États-Unis. Les tinystes se rassemblent alors autour d’associations et d’événements divers et variés. Des festivals entièrement consacrés aux tinies voient même le jour aux États-Unis et au Canada.
Les pionniers en France
S’il est plus simple pour une personne seule ou un couple de sauter le pas, les familles sont également de plus en plus nombreuses à être séduites par ce mode de vie. Un mode de vie alternatif, moins matérialiste, qui permet de réduire son empreinte carbone. Du fait de sa surface réduite (environ 15 m2), la tiny est une championne en matière d’économie d’énergie. De plus, l’espace sera soigneusement pensé et tout achat sera effectué avec une attention particulière. Un minimalisme qui la rend souvent irrésistiblement cosy. Pour Yvan Saint-Jours, l’un des initiateur·trice·s des micromaisons en France, plus qu’un effet de mode, le mouvement a aujourd’hui pris une ampleur sociétale. «La tiny, c’est une révolution dans l’art d’habiter et dans l’art de vivre en général.» Le journaliste, fondateur du magazine La Maison écologique qu’il a dirigé pendant près de 10 ans, est le premier en France à concevoir sa propre tiny house.
Ils·Elles ont sauté le pas
Lise Gallois, maman de 43 ans et membre de l’association Collectif Tiny House France, a elle aussi choisi de vivre en tiny
par conviction. L’idée a germé à la suite de son divorce. «J’ai dû remettre en question mes priorités et me recentrer sur ce qui comptait vraiment », se souvient-elle. « Je voulais que mes filles puissent vivre au plus près de la nature et mon choix s’est porté sur la tiny pour son côté cocon cosy. » Ce qui a décidé Charlotte Lavertu, jeune podologue équine implantée sur la côte basque, est aussi et surtout le coût de l’immobilier. «J’aime la nature et je ne me voyais pas vivre en appartement. La tiny
est un très bon compromis qui me permet de rester dans une région qui me plaît tout en vivant en accord avec mes valeurs. » Généralement, la visite de l’atelier du·de la fabricant·e finit de convaincre les futur·e·s acheteur·se·s. Charlotte et Lise affirment avoir été convaincues sur-le-champ, après avoir pu constater la qualité des matériaux et leur durabilité. Jonathan Benabed s’est lancé dans la construction de sa tiny
avec sa compagne Yunaë. Il invoque de son côté une tout autre raison. «Je n’arrivais pas à choisir un endroit où m’installer. À mes yeux, trop de régions présentaient un attrait», s’amuse-t-il. En plus de l’aspect nomade, souvent invoqué par les propriétaires de tinies, la deuxième motivation pour ce communicant-né était de montrer qu’il est possible de vivre de manière écologique sans tomber dans les clichés de la rusticité et de la précarité. « Mon projet avait une dimension pédagogique dès le départ », précise-t-il. Au-delà des arguments écologiques et économiques, un autre avantage de taille se glisse souvent dans la conversation : le besoin de s’alléger. Habiter une tiny pour se défaire d’une multitude de tracas liés au matériel. En plus de réduire les factures énergétiques, de se délester d’éventuels crédits et de tout l’entretien qui vient avec le package « grande maison de rêve ». Pas question pour autant de renoncer à son petit confort. Chauffage, cuisine, eau chaude sanitaire, buanderie, toilettes sèches ou normales… La tiny house est conçue comme une petite maison autonome ou raccordée à l’eau courante et à l’électricité. Selon le modèle, elle peut coûter entre 30000 € et 60000 €. Chez les tinystes, on distingue deux modes de vie différents : les nomades et les sédentaires. Les propriétaires itinérant·e·s se concentrent ainsi principalement sur l’identification d’emplacements publics, entre deux déplacements. Une tâche pas toujours aisée, y compris en France où les emplacements dédiés restent rares. Pour les grand·e·s voyageur·se·s, ça se complique davantage. Dans certains pays, les micromaisons sont inconnues au bataillon, à la limite de la légalité. Jonathan et Yunaë, qui envisagent de faire un tour du monde, en savent quelque chose : «Même aux États-Unis, où le mouvement
est né, les tinies nomades ne sont pas réellement les bienvenues. Nous devrons éviter certains pays pour nous épargner des ennuis.» Et quand on a des enfants? Lise Gallois, maman de deux filles, a fait le choix d’une tiny sédentaire, attirée par son côté convivial et « maison de poupées ». Une attirance qu’elle a rapidement su transmettre à sa progéniture, malgré des débuts difficiles. «Les réactions de mes filles ont été diamétralement opposées», observe-t-elle. «La plus jeune, qui avait 7 ans et demi, a littéralement explosé de joie. Ma grande de 12 ans a fondu en larmes.» Avec le recul, elle comprend que la tristesse était davantage liée au déménagement qui impliquait de s’éloigner du collège et des camarades qu’à la tiny house. D’ailleurs, le chagrin s’est instantanément effacé à la découverte de la tiny. Un grand modèle de 44 m² répartis sur deux étages, tout en bois et autonome en électricité grâce à ses panneaux solaires. «Entre vivre dans un petit appartement en ville et une petite maison à roulettes à la campagne, il n’y a pas photo. » Le côté cabane dans la nature séduit les enfants. «Loin d’en avoir honte, les filles ont très rapidement invité des copines », explique la maman, ravie. Et d’insister sur le grand point fort de la vie en tiny : «La qualité des moments que l’on partage est décuplée par la proximité quotidienne. » Elle explique ainsi que leur relation s’est simplifiée. Sans oublier l’argument phare du contact avec la terre. « Quand on se réveille le matin, le premier réflexe est de sortir pour mettre les pieds dans l’herbe. Il y a un côté évident que l’on ne retrouve pas forcément dans une grande maison à la campagne.» En revanche, quand on lui demande de lister les inconvénients, cette maman pleine d’entrain est en panne d’inspiration. Bien sûr, elle évoque l’impossibilité d’écouter de la musique à tue-tête au petit matin ou d’inviter tou·te·s les petit·e·s cousin·e·s à dormir. Mais souvent, les inconvénients se transforment en joyeuses anecdotes. Comme cette fois où une de ses bonnes amies – tinyste elle aussi– a invité une quinzaine de personnes pour le réveillon. « Au final, ça s’est très bien passé. On s’organise différemment et on apprend à lâcher prise. » D’autres témoignages sur Internet sont plus réservés sur ce mode de vie. La promiscuité pour une famille de 4 ou plus est parfois rédhibitoire, sans compter l’intimité du couple, mise à rude épreuve. Parfois, certains problèmes ne se révèlent qu’après l’emménagement. La circulation de l’air, l’isolation thermique et les problèmes d’humidité peuvent rapidement rompre le charme, surtout quand des familles se partagent un espace aussi réduit. La nécessité de tenir le lieu bien rangé en toutes circonstances ou encore le risque de ne pas pouvoir occuper n’importe quel terrain est également une préoccupation majeure des tinystes sédentaires.
La quête d’une terre d’accueil
Trouver un lieu où s’installer à l’année n’est pas toujours aisé. Deux options s’offrent à ceux·celles qui ne sont pas propriétaires de leur terrain : la location ou l’accueil paysan, en échange d’un service. L’apparition du gamping, mélange de garden et camping, a permis de mettre en relation des gens possédant un grand jardin avec des personnes désireuses de poser leur habitat mobile. Mais ces offres ne courent pas les rues. Charlotte en a fait l’amer constat : «Il m’a fallu contacter de nombreux·ses agriculteur·trice·s, faire appel au bouche-à-oreille et passer par des associations pour proposer de l’échange de services.» Alors qu’elle frise le découragement, une boulangère la met sur la bonne piste. Un agriculteur lui propose un emplacement pour 140 € par mois où elle pourra également placer ses chevaux. «On reste soumis·e·s au bon vouloir d’un·e propriétaire car tout cela n’est pas vraiment encadré par la loi », explique la jeune femme. Heureusement, certains terrains de camping pourront l’accueillir en cas de coup dur. Le nerf de la guerre est bel et bien la recherche d’un terrain pouvant les accueillir. Et pour cause, ce type d’habitat, considéré comme alternatif, a longtemps souffert d’un vide juridique. Depuis 2015, année du vote de la loi Alur, les micromaisons ont été reconnues habitat alternatif, aux côtés des yourtes, mobile homes et autres caravanes. En les soustrayant au permis de construire, la loi a permis de faciliter leur installation sur des terrains privés, mais le plan local d’urbanisme (PLU) reste la référence. Les communes doivent désormais prévoir des terrains dédiés à l’accueil des habitats alternatifs. En zones urbaines mais aussi dans les « pastilles », zones agricoles ou naturelles, normalement non constructibles. Malheureusement pour les tynistes, les choses tardent à s’enclencher. «Cela nous force à être aux aguets en perma-
nence. Il y a encore une grande peur de la cabanisation à mon sens», confie Lise, qui a déjà dû plier bagage plusieurs fois. Des déménagements qui demandent plus de logistique qu’un déménagement classique puisque la tiny house doit être entièrement vidée puis remorquée jusqu’au nouveau lieu. Pour ce faire, son·sa propriétaire doit repasser le code de la route afin d’obtenir le permis BE. « J’aimerais pouvoir vivre avec 3 ou 4 familles et non pas dans un lotissement superficiel de tinies que nous imposeraient les autorités. Pour le moment, je fais le choix de m’installer dans la nature, bien que ce soit fait dans ‘l’illégalité’ », regrette la jeune maman. En dépit des difficultés, elle reste philosophe. « J’ai bon espoir que cette situation change. Il faut laisser le temps à l’administration de se mettre à jour.»
Comment s’y prendre ?
Les plus courageux·ses choisissent de construire eux·elles-mêmes leur micromaison. Certains constructeurs proposent un kit à destination de ces bricoleur·se·s aventurier·ère·s. Avec toutes les pièces et matériaux nécessaires pour gagner du temps et se simplifier la tâche. Sur la Toile, les blogs rivalisent d’astuces et de conseils. Les récits de familles qui ont tout plaqué pour vivre leur rêve en tiny fleurissent. À l’image de Jonathan Benabed, 33 ans, qui s’est lancé dans l’aventure en 2016. Ce Bordelais, complètement novice en bricolage, participe à quelques chantiers participatifs pour se former. Très vite, il prend goût à l’ouvrage. Mais il prévient sans détours que l’aventure ne va pas sans quelques galères. Alors qu’il pensait mettre 4 à 5 mois pour la concevoir, il aura mis près de 2 ans. «Nous mettons un point d’honneur à ce qu’elle soit la plus écologique possible. Par exemple, nous avons privilégié le bois au métal, un matériau plus lourd qui peut être au frein au nomadisme. »
Et si on décide de se lancer?
On fait appel à l’un des 20 constructeurs que compte désormais l’hexagone. La société Baluchon, basée à Nantes, fait partie des pionnières. À sa tête, Laëtitia, Vincent et une équipe de 7 salarié·e·s. Designeuse industrielle de formation, Laëtitia voit en la tiny house un terrain d’expérimentation et de créativité formidable, permettant de concilier son attrait pour le design d’objets et l’architecture. En 2014, elle plaque tout et quitte Paris pour réaliser son rêve : autoconstruire sa tiny. Grâce au soutien de ses proches, elle se monte sur un terrain familial au bout de 8 mois. Elle organise par la suite des week-ends portes ouvertes pour partager son expérience. En 2016, l’atelier se structure et se professionnalise. Aujourd’hui, elle conçoit et aménage les tiny houses en fonction des besoins des futur·e·s habitant·e·s. « Pour concevoir une tiny house, il est important de soigner les détails, car dans une minimaison, ce sont les plus petites choses qui se remarquent le plus», souligne l’experte. On fait preuve d’ingéniosité avec des étagères incrustées dans les murs, des échelles aux escaliers et des meubles à double emploi (des poufs qui font office de coffres de rangement) afin que le sol reste dégagé. Si la tiny est par définition petite, elle peut revêtir des formes diverses et variées. On recense ainsi plusieurs modèles, adaptés aux exigences de ses acheteur·se·s : à étage ou de plain-pied, avec un ou deux pans de toits, ou encore à toits croisés. Baluchon en conçoit occasionnellement pour des petites familles. Elles comprennent alors deux chambres, généralement des mezzanines séparées, mais Laetitia concède qu’il est difficile de faire plus en raison des contraintes de taille et de poids. «Pour les couples avec un nouveau-né, on propose un modèle comme l’Odyssée, avec une petite chambre au rez-de-chaussée et un salon surélevé.» Sur son site web, l’entreprise annonce que deux mois de fabrication sont nécessaires pour une maison toute équipée. Une bagatelle comparée aux 8 à 12 mois de chantier d’une maison classique. Mais le délai d’attente est parfois plus conséquent. «J’ai dû attendre un an mais c’est parce que mon constructeur est victime de sa popularité», concède Charlotte. En contrepartie, sa tiny lui est livrée en 40 jours clés en main.
À lire : Tiny House, le nid qui voyage, Yvan Saint-Jours et Bruno Thiéry, photos Célia Robert. Éd. YpyPyp.
À voir : La chaîne YouTube de Jonathan Benabed : TH Livingstone.
À tester : On loue une tiny house qu’on se fait livrer chez soi pour un temps donné, ou on la loue pour partir en itinérance :
cahute.eu
Toutes les maisons des photos ont été construites par La Tiny House.